Le médecin d'Ispahan
vaillants qu'à la bataille, étaient enveloppés
de couvertures.
« Mes
pauvres enfants, dit Harsha, avant Buddha ou Brahma, Vichnou ou Shiva, ils
étaient tout-puissants et mon peuple les vénérait. Maintenant, ils sont captifs
et doivent nous obéir. »
Voyant Zi
frissonner, Rob conseilla de faire boire aux bêtes des baquets d'eau chaude,
car il avait beaucoup appris sur les éléphants à la maison de la Sagesse.
« Hannibal
était un grand guerrier d'autrefois. Il avait traversé les Alpes, de terribles
montagnes enneigées, avec son armée et trente-sept éléphants, sans en perdre un
seul. Mais le froid et les rigueurs du voyage les avaient affaiblis et, un peu
plus tard, dans des montagnes plus accessibles, ils moururent sauf un. C'est
pourquoi vous devez veiller à tenir vos bêtes au chaud. »
Harsha
approuva respectueusement.
« Savez-vous
que vous êtes suivi, hakim ? dit-il à Rob stupéfait. Il est là-bas, assis
au soleil. »
L'homme,
recroquevillé dans sa peau de mouton, s'appuyait le dos au mur pour se protéger
du vent froid.
« Il vous
suivait déjà hier. Et même maintenant, il vous guette.
– Quand je
partirai, peux-tu le suivre discrètement, pour savoir qui c'est ?
– Oui,
hakim », dit Harsha, les yeux brillants.
Tard dans la
soirée, il vint frapper à la porte.
« Il vous
a suivi jusque chez vous, hakim. Alors je l'ai suivi à mon tour jusqu'à la
mosquée du Vendredi. J'ai été très malin, il ne m'a pas vu. Il est entré chez
le mullah avec son vieux cadabi , puis il est ressorti en robe noire pour
aller à la mosquée au moment de la dernière prière. C'est un mullah. »
Rob le
remercia chaleureusement et Harsha s'en alla. Aucun doute : ce mullah
était envoyé par les amis de Qandrasseh. Informés de son entretien avec Ibn
Sina et Karim, ils voulaient en savoir davantage sur ses rapports avec le futur
vizir. Ils conclurent sans doute qu'il était inoffensif car, bien qu'il se tînt
sur ses gardes, il ne découvrit plus d'espion.
Il faisait
encore frais, mais le printemps approchait. Seuls les pics des montagnes
violettes restaient enneigés, et dans le jardin les branches nues des
abricotiers se couvraient de petits bourgeons noirs, tout ronds.
Un matin, deux
soldats vinrent chercher Rob pour le conduire au palais. Dans la salle du
trône, des courtisans bleus de froid se tenaient par petits groupes. Karim
n'était pas là. Après la prosternation rituelle, le chah fit asseoir Rob devant
l'échiquier ; sous le lourd tapis de la table, la chaleur qui montait du
sous-sol était délicieuse. Ala, sans un mot, joua le premier.
« Ah !
Dhimmi, tu es devenu un vrai fauve », dit-il bientôt.
En effet, Rob
avait appris à attaquer. Avec ses deux éléphants, il eut vite pris un chameau,
un cheval et son cavalier, trois fantassins. Les assistants suivaient le jeu en
silence. Certains étaient sans doute horrifiés et d'autres ravis qu'un infidèle
européen semble en passe de battre le chah. Mais le roi était un maître en fait
de fourberie et, trompant l'adversaire par le sacrifice de quelques pièces, il
lui prit éléphants et cavaliers. Rob se défendit vaillamment jusqu'au bout.
Après sa
victoire, saluée par les applaudissements des courtisans, Ala fit glisser de son
doigt une lourde bague d'or qu'il passa à la main droite de Rob.
« Nous
t'accordons aujourd'hui le calaat. Tu auras une demeure assez vaste pour un
spectacle royal. »
Avec un harem,
se dit Rob. Et Mary dans ce harem. Les nobles étaient tout oreilles.
« Je
porterai cette bague avec fierté et gratitude, sire. Quant au calaat, je suis
déjà comblé des bienfaits de Votre Majesté et je resterai dans ma
maison. »
Le ton était
respectueux mais trop ferme et il ne détourna pas assez vite son regard pour
prouver son humilité. Tout le monde avait entendu la réponse du dhimmi.
Ibn Sina
l'apprit le lendemain matin. Il n'avait pas en vain été deux fois vizir ;
ses espions à la cour et dans le personnel du palais lui rapportèrent l'impair
fatal de son assistant. Comme toujours en cas de crise, il prit le temps de
réfléchir. Certes, sa présence à Ispahan ajoutait au prestige du monarque, mais
son influence avait des limites et une intervention directe ne sauverait pas
Jesse ben Benjamin. Au moment où il préparait une guerre où il jouerait ses
rêves de puissance et d'immortalité, Ala ne pouvait tolérer le moindre obstacle
à ses volontés. Jesse ben
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