Le médecin d'Ispahan
passé.
« Je
pense pour toi à un nouveau calaat, avec une belle maison et des terres, une
propriété digne d'une fête royale.
– Je ne mérite
pas de calaat. Ce que j'ai fait était peu de chose en retour de tout ce que je
vous dois. »
Peut-être
aurait-il dû parler de son attachement au souverain, mais c'eût été trop
demander, et d'ailleurs Ala l'écoutait à peine.
« Tu
mérites une récompense.
– Alors je
demande à Votre Majesté de me laisser vivre dans ma petite maison, où je suis à
l'aise et heureux. »
Le chah lui
jeta un regard dur et hocha la tête.
« Laisse-moi,
dhimmi », dit-il en éperonnant son étalon blanc, qui bondit, toute
l'escorte galopant derrière lui.
Rob, pensif,
reprit le chemin du Yehuddiyyeh pour montrer à Mary les beaux instruments
d'acier.
63. CONSULTATION À IDHAJ
L'hiver fut précoce et rude en Perse, cette année-là. Un matin, le sommet des
montagnes blanchit et le lendemain, des vents froids chargés de sel, de sable
et de neige balayèrent Ispahan. Sur les marchés, on couvrait les étalages en
attendant le printemps et, vêtus de peau de mouton jusqu'aux chevilles, on se
chauffait aux braseros en commentant les exploits du roi. Mais le dernier
scandale ne prêtait pas à rire.
Devant ses
excès quotidiens, Qandrasseh avait chargé son adjoint, le mullah Musa ibn
Abbas, de rappeler au chah que les boissons fortes, condamnées par Allah
étaient interdites selon le Coran. Quand le délégué du vizir arriva, Ala buvait
depuis des heures ; il écouta gravement, puis, comprenant le sens et le
ton du propos, il descendit de son trône, s'approcha du mullah et, sans changer
d'expression, lui versa du vin sur la tête jusqu'à la fin du sermon, trempant
sa barbe et ses vêtements. Après quoi, il le congédia d'un geste, ruisselant et
humilié.
Ce mépris des
saints hommes d'Ispahan semblait annoncer la disgrâce de Qandrasseh et, le
lendemain, les mosquées retentirent de sombres prophéties. Karim Harun vint
consulter Ibn Sina et Rob.
« Il
n'est pas toujours ainsi ; il peut être le meilleur des compagnons, et le
plus courageux des guerriers. S'il est ambitieux, c'est pour la grandeur de la
Perse. »
Ils
l'écoutaient en silence.
« J'ai
essayé de l'empêcher de boire...
– C'est le
matin qu'il est le plus dangereux, quand il s'éveille malade des beuveries de
la veille. Donne-lui une infusion de séné pour chasser les poisons et le mal de
tête ; parsème ses aliments de poudre d'azurite, la pierre arménienne qui
guérit la mélancolie. Mais rien ne le sauvera de lui-même. Quand il boit,
évite-le autant que possible. Et prends garde à toi : favori du chah, on
te considère comme le rival de l'imam et tu as maintenant des ennemis
puissants.
– Tu dois
mener une vie irréprochable, dit Rob en le regardant dans les yeux. Ils
guettent ta moindre faiblesse. »
Il se
rappelait sa propre honte quand il avait trompé son maître et devinait chez
Karim, malgré l'amour et l'ambition, l'angoisse de la trahison. Quand son ami
sortit, il lui rendit son sourire –comment résister à son charme ? –, mais
il avait pitié de lui.
Le petit Rob
J. ouvrait sans crainte ses yeux bleus sur le monde ; il commençait à ramper
et à boire dans une tasse. Sur le conseil d'Ibn Sina, Rob lui donna du lait de
chamelle, qu'il prit avec avidité malgré son odeur forte et ses traces de
graisse jaune. Prisca cessa donc de l'allaiter, mais elle guettait Rob chaque
matin quand il allait chercher le lait au marché arménien.
« Maître
dhimmi ! Comment va mon petit garçon ? » criait-elle, et il lui
répondait d'un lumineux sourire.
Avec le froid,
beaucoup de patients souffraient de catarrhe et de douleurs. Négligeant la
recette de Pline le Jeune contre le rhume : un baiser sur le museau poilu
d'une souris, Ibn Sina préconisait une mixture où entraient une douzaine
d'ingrédients pilés et pétris avec du miel : castoréum, férule et assas
fœtida , graines de céleri, fenugrec, centaurée, opopanax, rue, graines de
citrouille ; les résines étant au préalable macérées dans l'huile.
« C'est
efficace s'il plaît à Dieu », disait le maître.
Dans l'enclos
des éléphants, les mahouts habitués aux doux hivers indiens ne faisaient que
renifler et tousser. Rob leur donna sans grand succès du fumeterre, de la sauge
et de la pâte d'Ibn Sina ; le Spécifique du Barbier aurait été plus
efficace. Les éléphants, moins
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