Le médecin d'Ispahan
éprouvait pour son ami l'empêchait
d'admettre l'horrible vérité.
« Vous
êtes encore robuste, dit Rob en prenant les mains de son maître. Tenez le
ventre libre pour éviter l'accumulation de bile noire qui aggraverait le
cancer. Mais je prie Dieu de m'être trompé.
– Prier ne
peut pas faire de mal », dit Ibn Sina en souriant.
69. LES MELONS VERTS
Un jour de sécheresse et de poussière, vers la fin de l'été, une caravane venant
du nord-est émergea d'un nuage poudreux. Cent seize chameaux, remuant leurs
clochettes et crachant sous leur charge de minerai, traversèrent Ispahan à la
queue leu leu. De ce minerai, Ala avait espéré que Dhan Vangalil tirerait
beaucoup d'armes d'acier bleu ; les essais du forgeron prouvèrent plus
tard que le fer en était trop tendre. Mais, ce soir-là, les nouvelles
qu'apportait la caravane avaient créé une certaine excitation ici et là dans la
ville. Un nommé Khendi, capitaine des chameliers, fut convoqué au palais pour
répéter au chah le détail de ses informations, puis on le mena au maristan
raconter son histoire aux médecins.
Des mois
auparavant, Mahmud, le sultan de Ghazna, était tombé gravement malade, avec de
la fièvre et tant de pus dans la poitrine qu'il lui était venu sur le dos une
grosse tumeur molle ; les médecins avaient décidé de la vider pour sauver
la vie du patient. On avait, paraît-il, enduit le dos du sultan d'une fine
couche d'argile de potier. L'un des jeunes médecins s'étonna, mais al-Juzjani
connaissait la réponse.
« On
observe attentivement l'argile, et là où elle sèche le plus vite, c'est la
région la plus chaude de la peau, celle où il faut inciser. »
Sous le
scalpel, le pus avait aussitôt jailli et l'on avait posé des drains pour
éliminer le reste.
« La lame
était-elle arrondie ou pointue ? demanda al-Juzjani.
– L'avait-on
drogué pour atténuer la douleur ?
– Les drains
étaient-ils des mèches d'étain ou de lin ?
– Le pus
était-il foncé ou clair ?
– Y a-t-on
trouvé des traces de sang ?
–
Seigneurs ! Messeigneurs, je suis capitaine de chameliers et non hakim,
s'écria Khendi affolé. Je ne peux vous dire qu'une chose, maîtres.
– Quoi
donc ?
– Trois jours
après l'opération, le sultan de Ghazna était mort. »
Ala et Mahmud
avaient été deux jeunes lions, chacun succédant trop tôt à un père puissant,
s'épiant l'un l'autre : Ghazna mangerait-il la Perse ou la Perse
Ghazna ? Il ne s'était rien produit et Ala n'avait cessé de rêver au
combat singulier, sur le front des troupes, qui le ferait enfin roi des rois.
Allah avait décidé, maintenant, qu'il n'y aurait pas de combat singulier.
Quatre jours
après l'arrivée de la caravane, trois espions revinrent à Ispahan, allèrent
l'un après l'autre rendre compte au palais, et le chah commença à comprendre, à
la lumière de leurs rapports, ce qui s'était passé à Ghazna. Après la mort du
sultan, son fils Muhammad avait été évincé par son frère Masud avec le soutien
de l'armée. Muhammad en prison et Masud sur le trône, les funérailles de Mahmud
mêlèrent en plein délire la douleur des adieux et la fête frénétique. Puis le
nouveau sultan réunit les chefs pour leur déclarer son intention d'entreprendre
ce que son père n'avait jamais fait : marcher sur Ispahan sans délai.
Voilà ce qui
tirait enfin Ala de son palais. Ce projet d'invasion ne lui déplaisait pas, et
cela pour deux raisons. Sachant Masud impulsif et inexpérimenté, il y voyait
une chance de mesurer sa valeur militaire à celle de ce blanc-bec. Par
ailleurs, les Persans avaient dans l'âme un penchant pour la guerre, et il les
croyait prêts à accueillir le conflit comme une diversion aux pieuses
restrictions imposées par les mullahs. Il réunit ses officiers en conférence,
où le vin et les femmes mettaient un air de fête, et l'on se pencha sur les
cartes : de Ghazna, une seule route était praticable pour une troupe
importante. Masud devait traverser les chaînes et les collines au nord du
Dacht-i Kevir, contournant le grand désert par la région de Hamadhan avant
d'obliquer vers le sud. Ala décida qu'une armée persane marcherait sur Hamadhan
pour prévenir l'attaque d'Ispahan.
On ne parlait
que de cela, même au maristan. Rob ne se sentait pas impliqué dans la guerre.
Il avait payé sa dette vis-à-vis du roi ; après l'expédition indienne, il
ne voulait plus jamais être soldat et
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