Le médecin d'Ispahan
porta instinctivement une main à sa poitrine.
– Pourquoi ne
l'as-tu pas vu tout de suite ? Tu sais où il est ?
– Il habite le
quartier de Prisca. On dit qu'il tenait d'abord à vivre chez les chrétiens,
mais, voyant les taudis arméniens, il s'est empressé de louer une maison plus
confortable à un musulman.
– Il faut lui
écrire. L'inviter à dîner.
– Je ne sais
même pas son nom.
– Paie un
messager. Au quartier arménien, n'importe qui le renseignera. Rob ! Il
doit avoir des nouvelles de là-bas ! »
La dernière
chose qu'il souhaitait était bien ce contact avec un Anglais chrétien, mais il
ne pouvait refuser à Mary l'occasion d'entendre parler d'un pays plus cher à
son cœur que la Perse. Il s'assit donc pour écrire la lettre.
« Je suis
Charles Bostock. »
Rob se le
rappela au premier coup d'œil. Revenant à Londres, autrefois avec le Barbier,
ils avaient voyagé deux jours dans la caravane de Bostock, chargée de sel
d'Arundel, et ils avaient jonglé devant le marchand.
« Jesse
ben Benjamin, médecin à Ispahan.
– Votre
invitation était en anglais, et vous parlez aussi ma langue ? »
Rob répondit,
comme il l'avait toujours fait en Perse, qu'il avait grandi à Leeds. Il était
plus amusé qu'inquiet. En quatorze ans, le chiot était devenu un chien bien
étrange, se dit-il, et il était peu probable que Bostock reconnaisse le petit
jongleur dans ce médecin juif de haute taille.
« Voici
ma femme Mary, une Ecossaise du Nord. »
Elle avait
voulu se faire belle malgré son gros ventre et portait sur ses cheveux roux un
bandeau brodé, orné d'un pendentif de petites perles qui dansait entre ses
sourcils. Bostock avait toujours ses longs cheveux noués d'un ruban, mais ils
étaient maintenant plus gris que blonds, et son habit de velours rouge semblait
trop chaud pour le climat et trop fastueux pour la circonstance. Son regard
inquisiteur évaluait à son prix le moindre objet de la maison, considérant avec
curiosité et dégoût le Juif barbu et basané, la Celte rousse sur le point
d'accoucher et l'enfant endormi, témoignage supplémentaire de cette honteuse
union.
Mais, comme
ils étaient tous trois heureux de parler anglais, la conversation devint très
animée et Bostock dut répondre à une foule de questions, bien que ses nouvelles
fussent vieilles de deux ans. Londres était prospère, le roi Canute était mort,
comme aussi Robert, duc de Normandie.
« Ce sont
des bâtards qui règnent désormais des deux côtés de la Manche : en Normandie,
Guillaume, un fils illégitime de Robert, qui n'est encore qu'un enfant ;
en Angleterre, Harold Harefoot, fils reconnu d'une liaison de Canute avec une
femme obscure de Northampton. »
Ils avaient
faim de nouvelles du pays, mais l'odeur du repas préparé par Mary les ramena à
d'autres nourritures et le regard de Bostock se réchauffa quelque peu. Il y
avait une paire de faisans, farcis à la persane de riz et de raisins et cuits
longtemps à petit feu, une salade d'été, des melons sucrés, une tarte aux abricots
et au miel. Enfin, luxe coûteux et dangereux, ils avaient fini par obtenir au
marché juif une outre de vin rosé, que Hinda terrifiée leur avait vendue trois
fois son prix et qu'on avait rapportée cachée dans un sac de grain.
Bostock
comptait repartir peu de jours après pour l'Europe.
« J'allais
à Constantinople pour les affaires de l'Eglise et je n'ai pu m'empêcher de
continuer vers l'est. Le roi d'Angleterre anoblit tout marchand qui ose trois
grands voyages pour ouvrir au commerce anglais les pays étrangers. J'ai pensé à
la route de la soie et finalement je rapporte de Perse des tapis et des tissus
précieux. Mais le profit est mince car il me faut entretenir une petite armée
pour tout rapporter sans risque en Angleterre. »
Rob pensait
trouver des rapprochements entre leurs itinéraires, mais le marchand était
d'abord passé par Rome.
« Combinant
mes affaires avec une mission pour l'archevêque de Canterbury, j'ai vu au
palais du Latran le pape Benoît IX qui m'a commandé, au nom du Christ, de
porter à Constantinople des lettres papales pour le patriarche Alexis.
– Légat du
pape ! s'écria Mary.
– Moins un
légat qu'un messager, rectifia Rob sèchement, voyant Bostock ravi d'éblouir sa
femme.
– Depuis six
cents ans, l'Eglise d'Orient s'oppose celle de Rome, qu'on déteste à
Constantinople, où Alexis est tenu pour l'égal du pape. Ses prêtres barbus
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