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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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un témoin malintentionné, il n'osa pas. Resté seul, il
s'offrit un flacon de vin qu'il alla boire au bord du fleuve en contemplant les
eaux grises. Il était content de lui. Fils de son père, ne pouvait-il boire
s'il en avait envie ? Une métamorphose s'était opérée : il était Nathanael Cole. Chose étrange, il était aussi Mirdin et Karim. Ala et Dhan
Vangalil. Et surtout, oh ! surtout, il était Ibn Sina ! Mais il était
encore le gros bandit qu'il avait tué autrefois et cette saloperie de Davout
Hosein...
    Il était tous
les hommes et tous étaient en lui. Quand il se battait contre ce sacré
Chevalier noir, c'était un combat pour sa propre survie. Seul et ivre, il en
prenait conscience pour la première fois. Emportant le flacon vide qui
servirait à un médicament ou une analyse d'urine honnêtement payée, il s'en
retourna, lui et tous les autres, à pas prudents et incertains, vers son refuge
rue de la Tamise.
     
    Il n'avait pas
laissé femme et enfants pour devenir ivrogne, se dit-il sévèrement le lendemain
quand il eut retrouvé ses esprits. Pour renouveler sa réserve d'herbes
médicinales, il alla chez un herboriste de sa rue, un petit homme méticuleux
nommé Rolf Pollard, qui semblait compétent.
    « Où
pourrais-je rencontrer d'autres médecins ? lui demanda-t-il.
    – Au lycée, je
pense, maître Cole. Les médecins de la ville s'y réunissent régulièrement. Je
n'en sais pas davantage, mais maître Rufus vous renseignera sans doute. »
    Le conduisant
à l'autre bout de la pièce, il présenta Rob à un client qui flairait une
branche de pourpier sec. Aubrey Rufus, médecin de la rue Fenchurch, un homme
posé un peu plus âgé que lui, passa sa main dans une chevelure blonde qui
commençait à s'éclaircir et répondit aimablement.
    « La
réunion a lieu le premier lundi de chaque mois, à l'heure du dîner, dans une
salle de la taverne Illingsworth à Cornhill. C'est surtout un prétexte pour
nous empiffrer. Chacun paie son écot.
    – Faut-il être
invité ?
    – Pas du tout,
c'est ouvert aux médecins de Londres. Mais, si cela vous fait plaisir, je vous
invite. »
    Rob sourit, le
remercia et prit congé. Le premier lundi de la nouvelle année, il retrouva à
l'Illingsworth une vingtaine de médecins, bavardant et riant autour des tables,
qui l'examinèrent avec la curiosité furtive de tout groupe pour un nouvel
arrivant. Il reconnut tout de suite Hunne qui fronça les sourcils en le voyant
et chuchota quelque chose à ses voisins. Mais Aubrey Rufus lui fit signe de le
rejoindre, à une autre table, et le présenta à ses quatre compagnons. Un nommé
Brace demanda avec qui il avait fait son apprentissage et combien de temps.
    « J'ai
été six ans l'assistant d'un médecin de Freising, dans le royaume franc
oriental, qui s'appelait Heppmann. »
    C'était le nom
du propriétaire qui les avait logés pendant la maladie de Tarn. Il y eut des
mines dédaigneuses pour cette référence étrangère, mais l'arrivée des
victuailles coupa court à l'interrogatoire : une volaille trop cuite avec
des navets et de la bière, dont Rob usa modérément. Après le repas, Brace, qui
était chargé de la conférence, parla des ventouses.
    « Il faut
prouver aux patients votre confiance dans l'efficacité des ventouses et des
saignées répétées, afin qu'ils partagent votre optimisme. »
    L'exposé était
mal préparé et il apparut au cours de la discussion que le Barbier en savait
beaucoup plus à ce sujet que la plupart des médecins. Le Lycée se révélait bien
décevant. On y était obsédé d'honoraires et de revenus. Rufus même plaisantait
avec envie le président, Dryfield, qui recevait chaque année, comme médecin du
roi, un traitement et des robes.
    « Un
médecin peut toucher un traitement sans servir le roi, dit Rob, éveillant
l'attention générale.
    – Comment
cela ? demanda Dryfield.
    – En
travaillant pour un hôpital, un centre de soins consacré aux patients et à
l'étude des maladies. »
    Certains le
regardèrent, ébahis, mais Dryfield acquiesça.
    « C'est
une idée qui vient d'Orient. On parle d'un nouvel hôpital à Salerne et
l'Hôtel-Dieu existe depuis longtemps à Paris, mais il faut savoir que les gens
ne sont envoyés à l'Hôtel-Dieu que pour y mourir oubliés. C'est un lieu
effroyable.
    – Les hôpitaux
ne sont pas forcément ainsi, dit Rob, contrarié de ne pouvoir leur parler du
maristan.
    – Ce système
convient peut-être aux incapables,

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