Le médecin d'Ispahan
disséquant un porc ? Non, bien sûr. Et chacun sait que le porc
et l'homme ont même anatomie.
« Il y a,
expliqua patiemment Rob, de subtiles différences. »
Il déroula son
dessin de l'Homme transparent et le commenta en montrant les différents stades
de la maladie.
« A
supposer que l'affection abdominale corresponde à votre description, dit un
médecin au fort accent danois, quel traitement proposez-vous ?
– Je ne
connais pas de traitement.
– Alors, à
quoi nous sert de connaître l'origine du mal ? »
Tout le monde
approuva, oubliant l'hostilité habituelle à l'égard des Danois pour faire bloc
contre le nouvel arrivant.
« La
médecine, reprit Rob, se construit comme un édifice. Nous avons une chance,
dans le temps d'une vie, de poser une brique. Si nous expliquons la maladie,
quelqu'un, plus tard, trouvera le remède. »
Grommelant de
plus belle, ils s'étaient rassemblés autour de l'Homme transparent, et le président
avait noté la signature.
« C'est
un excellent travail, dit-il. Qui vous a servi de modèle ?
– Un homme qui
avait été éventré.
– Vous n'avez
donc vu qu'un seul appendice, s'écria Hunne triomphant, et, naturellement, la
voix toute-puissante de votre " vocation " affirme aussi
l'universelle présence de ce petit ver rose dans les intestins ? »
Rob, vexé, dit
l'avoir vu dans plusieurs corps. Combien ? Six. Des hommes et des
femmes ? Dans quelles circonstances ? Mal à l'aise, il avait
l'impression de sonner faux. Ils conclurent à la coïncidence ou, pire, au
mensonge et, apercevant une lueur de joie mauvaise dans les yeux de Hunne, il
comprit que cette conférence prématurée au Lycée avait été une erreur.
Julia Swane ne
pouvait échapper à la Tamise. Le dernier jour de février, plus de deux mille
personnes s'assemblèrent au petit matin pour applaudir quand on la cousit dans
un sac avec un coq, un serpent et une grosse pierre, avant de la jeter au plus
profond du bassin de Saint-Giles.
Rob n'assista
pas à la noyade. Il cherchait en vain au dock de Bostock l'homme qu'il avait
amputé, inquiet de ce qu'il était devenu car le sort d'un esclave dépend de sa
capacité de travail. Il en vit un autre dont le dos était balafré de coups de
fouet qui semblaient lui ronger le corps. Il rentra chez lui préparer un baume
à base de graisse de chèvre et de porc, d'huile, d'encens et d'oxyde de cuivre,
puis retourna au quai l'appliquer sur la peau malade. Mais il n'avait pas fini
qu'un surveillant se précipitait sur eux.
« C'est
le quai de maître Bostock ! Qu'est-ce que vous foutez là ? »
L'esclave
avait déjà fui. Sous le regard menaçant du garde, Rob quitta les lieux, heureux
de s'en tirer sans autre dommage.
On venait le
consulter. Il guérit de ses maux de ventre une femme pâle et larmoyante en lui
donnant du lait de vache bouilli. Un riche armateur arriva, la tunique trempée
du sang de son poignet, si profondément entaillé que la main semblait gravement
atteinte. Déprimé par l'alcool, il avait voulu, avec son propre couteau, mettre
fin à ses jours. Il avait bien failli réussir. Rob avait appris dans ses
dissections que l'artère du poignet passe tout contre l'os et l'homme s'était
arrêté juste avant. Il avait tout de même endommagé des ligaments qui
commandent et contrôlent les mouvements du pouce et de l'index. Quand le
poignet fut recousu et pansé, les deux doigts restèrent inertes.
« Retrouveront-ils
le mouvement et la sensibilité ?
– Si Dieu le
veut. Vous vous y êtes très bien pris ; la prochaine fois, vous ne vous
manquerez pas. Si vous voulez vivre, évitez l'alcool. »
C'était
l'époque de l'année où l'on a besoin de purgatifs après un hiver sans légumes
verts ; il prépara une teinture de rhubarbe qu'il épuisa en une semaine.
Il soigna un homme mordu par un âne, perça deux furoncles, traita un poignet
foulé et un doigt cassé. Au milieu de la nuit, une femme effrayée vint le
chercher pour son mari, qui était palefrenier aux écuries de Thorne. Il s'était
blessé au pouce trois jours avant, et souffrait la veille de douleurs dans les
reins. Maintenant, les mâchoires crispées, une salive écumeuse filtrant entre
les dents serrées, il était tendu comme un arc, la tête et les talons reposant
seuls sur sa couche. C'étaient bien les symptômes, décrits par Ibn Sina, d'une
crise d'épilepsie, mais on ne connaissait pas de traitement et l'homme mourut
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