Le médecin d'Ispahan
l'aide de
son visiteur, il se fut relevé, non sans exclamations et plaintes, il lui
fallut quelques instants pour reprendre son calme. Rob avait apporté plusieurs
flacons de Spécifique ; il en ouvrit un, qui fit grand plaisir à son hôte.
« Je
viens pour m'informer sur l'opération qui tous a rendu la vue.
–
Vraiment ? Et pourquoi cela ?
– C'est pour
un parent qui aurait besoin du même traitement.
– J'espère
qu'il est fort et courageux. J'étais attaché à une chaise, pieds et poings
liés. On m'a fait boire, au point d'être presque inconscient ; et puis on
m'a mis sous les paupières des petits crochets que des assistants tenaient
relevés, si bien que je ne pouvais plus les baisser. »
Thorpe ferma
les yeux et frissonna. Il avait raconté cela tant de fois que les détails
étaient gravés dans sa mémoire, et qu'il n'eut pas une hésitation. Rob écoutait
avec passion.
« J'avais
la vue si basse que je ne percevais plus – confusément – que les objets tout
proches. Ainsi m'apparut la main de maître Merlin, tenant une lame, de plus en
plus près jusqu'à ce qu'elle me fende l'œil. La douleur me dégrisa d'un seul
coup ! Persuadé qu'il m'avait arraché l'œil au lieu d'en retirer le voile,
je me suis mis à hurler, le suppliant d'arrêter. Comme il persistait, je l'ai
couvert d'insultes, disant qu'enfin je comprenais comment sa détestable race
avait pu tuer Notre-Seigneur... Lorsqu'il incisa l'autre oeil, la douleur fut
telle que je perdis connaissance. Je me réveillai dans le noir, les yeux
bandés, et je souffris encore cruellement pendant presque une quinzaine. Mais
enfin je retrouvai une vision que j'avais perdue depuis longtemps. Si bien que
j'ai pu exercer deux ans de plus mon métier de clerc, jusqu'à ce que les
rhumatismes m'obligent à réduire mes activités. »
Ainsi, c'était
vrai, se dit Rob, médusé, donc tout ce qu'avait dit Benjamin Merlin l'était
peut-être aussi.
« Maître
Merlin est le meilleur médecin que je connaisse, dit Thorpe. Pourtant, malgré
tout son savoir, il ne parvient pas à guérir mes os et mes articulations
douloureuses. »
De retour à
Tettenhall, Rob campa trois jours près de la ville, comme un amoureux timide
qui n'ose aborder sa belle mais n'a pas le courage de la quitter. Un fermier
lui avait indiqué où vivait Merlin et, plusieurs fois, il mena Cheval, au pas,
devant la ferme basse avec ses dépendances bien tenues, son champ, son verger,
sa vigne : rien n'y signalait la présence d'un médecin. L'après-midi du
troisième jour, il le rencontra loin de chez lui.
« Comment
va la santé, jeune barbier ? »
Après les
politesses, ils parlèrent du temps, puis le médecin prit congé.
« Je ne
peux pas m'attarder, car j'ai encore trois malades à visiter avant d'avoir fini
ma journée.
– Pourrais-je
vous accompagner et vous voir faire ? »
Merlin
hésita : cela ne lui plaisait guère. Il finit par accepter non sans
réticence.
« Vous
serez aimable de ne pas intervenir. »
Le premier
patient était un vieillard à la toux caverneuse et Rob vit tout de suite qu'il
n'en avait as pour longtemps.
« Comment
va la santé, maître Griffith ? demanda le médecin.
– Comme
d'habitude, soupira l'homme en suffoquant, sauf que, aujourd'hui, je n'ai même
pas pu nourrir mes oies.
– Mon jeune
ami pourrait peut-être le faire ? » suggéra Merlin en souriant.
Obligé
d'accepter, Rob prit les consignes de Griffith. Il était contrarié de cette
perte de temps ; le médecin ne s'attarderait sans doute pas près d'un
mourant. Il s'approcha prudemment des oies, dont il redoutait la malignité,
mais elles étaient affamées et il put s'échapper très vite. Rentré dans petite
maison, il fut surpris d'y trouver Merlin s’entretenant longuement avec son
malade, l'interrogeant sur ses habitudes, son régime, son enfance les causes
des décès dans sa famille. Il lui prit le pouls au poignet, puis au cou, enfin
écouta, oreille contre sa poitrine
La journée
semblait vouée aux cas désespérés car, en ville, près de la place, la femme du
maire se mourait dans les douleurs.
« Comment
va la santé ? » demanda une fois de plus le médecin.
La femme ne
dit rien mais son regard était une réponse suffisante. Merlin s'assit, lui prit
la main en lui parlant doucement ; comme avec le vieillard, passa un long
moment près d'elle.
« Pouvez-vous
m'aider à retourner Mme Sweyn ? dit-il à Rob. Doucement,
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