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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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trois
garçons et le père portaient des calottes qu'ils gardèrent à table. La mère
apporta un pain chaud dont le jeune Zacharie rompit un morceau en disant
quelques mots d'une langue gutturale.
    « Attends.
Ce soir nous dirons le brochot en anglais, par courtoisie pour notre
hôte.
    – Sois béni,
Seigneur notre Dieu, roi de l'univers, reprit l'enfant, Toi qui fais venir
notre pain de la terre. » Puis il donna le pain à Rob, qui le trouva bon
et le fit passer aux autres.
    Merlin versa
du vin rouge d'une carafe et Rob, l'imitant, leva son gobelet.
    « Béni
sois-tu, Seigneur notre Dieu, roi de l'univers, qui as créé le fruit de la
vigne. »
    Le repas
consistait en une soupe de poisson au lait, chaude et épicée. Puis on mangea
des pommes du verger. Jonathan, le petit dernier, se plaignit avec indignation
des lapins qui dévoraient leurs choux.
    « Prends-les
au piège, dit Rob, et ta maman en fera un bon ragoût. »
    Il y eut un
froid et Merlin sourit.
    « Nous ne
mangeons ni lapins ni lièvres, car ils le sont pas kascher. Ce sont des lois
alimentaires vieilles comme le monde. Les Juifs ne doivent consommer que les
ruminants, à l'exclusion de ceux qui n'ont pas le sabot fourchu. Ils ne doivent
pas mêler le lait et la viande car il est écrit dans la Bible :
" Tu ne feras point cuire un chevreau dans lait de sa
mère. " Il n'est pas permis de boire le sang, ni de manger une viande
qui n'a pas été rituellement saignée et salée. »
    Rob se figea.
Mme Merlin avait raison : il ne comprendrait jamais les Juifs. C'étaient
des païens, voilà tout !
     
    Il demanda
pourtant à camper cette nuit-là au verger, mais Merlin insista pour qu'il dorme
à l'abri dans la grange, et il était couché sur la paille odorante quand la
voix de l'épouse, passant du grave à l'aigu, lui parvint à travers le mur. Ses
propos étaient aisés à deviner, malgré la langue intelligible.
    « Tu ne
sais rien de cette jeune brute et tu l'amènes ici ! Ne vois-tu pas son nez
cassé, ses cicatrices et ses armes coûteuses d'assassin ! Il nous tuera
dans notre lit ! »
    Le médecin
vint peu après retrouver Rob avec un grand flacon et deux gobelets de bois. Il
soupira.
    « C'est
une excellente femme, à part cela. Mais c'est dur pour elle de vivre ici,
coupée de ceux qui lui sont chers. »
    La boisson
était bonne et revigorante.
    « De
quelle région de France venez-vous ? demanda Rob.
    – Comme ce
vin, nous sommes originaires de Falaise, ma femme et moi ; ma famille y
vit sous la protection de Robert de Normandie. Mon père et deux de mes frères
sont négociants en vin et ils exportent en Angleterre. »
    Sept ans
auparavant, ajouta-t-il, il était revenu à Falaise après avoir étudié en Perse
dans une école de médecine.
    « Où
est-ce, la Perse ?
    – En Orient,
très loin d'ici, dit Merlin en souriant.
    – Et pourquoi
êtes-vous venu en Angleterre ? »
    De retour en
Normandie, le jeune médecin l'avait trouvée bien pourvue de praticiens et, par
ailleurs, exposée aux guerres incessantes des nobles et des rois. Il s'était
rappelé la beauté de la campagne anglaise, qu'il avait vue deux fois avec son
père. Et puis la réputation de stabilité du roi Canute l'avait décidé à choisir
ce pays calme et verdoyant.
    « Nous
avons aussi des difficultés : pour pratiquer notre culte et nos usages
loin de ceux qui partagent notre foi ; nos enfants, à qui nous parlons
notre langue, pensent en anglais et, malgré nos efforts, ignorent en grande
partie nos traditions. »
    Il voulut
resservir Rob, qui refusa, tenant à garder la tête froide.
    – Parlez-moi
de cette école en Perse. Pourquoi être allé si loin ?
    – Elle est à
Ispahan, dans l'ouest du pays. Je ne pouvais aller nulle part ailleurs. Mes
parents ne voulaient pas que je sois médecin – il est vrai que la profession
est pleine de charlatans et de fripons. A l’Hôtel-Dieu de Paris, les malades ne
sont que misérables et pestiférés sans autre perspective que la mort. L'école
de Salerne est sinistre. Mon père avait appris par d'autres marchands que les
Arabes avaient fait de la médecine un art. En Perse, à Ispahan, les musulmans
ont un hôpital qui est un véritable centre de soins. C'est là qu'Avicenne forme
ses élèves. C'est le plus grand médecin du monde. On l'appelle en arabe :
Abu Ali al-Husayn ibn Abdullah ibn Sina. »
    Rob se fit
répéter ce nom étrange et mélodieux pour le garder dans sa mémoire. Merlin

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