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Le médecin d'Ispahan

Le médecin d'Ispahan

Titel: Le médecin d'Ispahan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Noah Gordon
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des moments différents, sans doute à cause du léger
décalage d'une langue à l'autre. Charbonneau, médusé devant l'habileté du
jongleur, communiqua son enthousiasme au public, qui applaudit. Ils vendirent
beaucoup de Spécifique. Aux étapes suivantes, le Français apprit lui-même les
anecdotes et les chansons gaillardes. Avec les portraits et les soins, Rob
remplissait sa bourse, sachant que l'argent est une sauvegarde à l'étranger.
    Un soir, près
du feu, ils parlèrent du Barbier.
    « Tu as eu
de la chance, dit Charbonneau. Moi, à douze ans, j'ai perdu mon père et, avec
mon frère Etienne, nous avons été pris par des pirates. Pour sauver ma vie,
j'ai dû naviguer avec eux pendant cinq terribles années.
    – Et ton
frère ?
    – Plus tard,
il a pu s'enfuir et retourner au pays, à Strasbourg, où il est devenu un
excellent boulanger. »
    Juin fut chaud
et sec. Après avoir traversé le nord et l'est de la France, ils arrivèrent non
loin de la frontière germanique.
    « Nous
approchons de Strasbourg, dit Charbonneau un matin.
    – Allons-y, tu
verras ta famille.
    – Nous perdons
deux jours de voyage », objecta le Français, scrupuleux, mais Rob insista
car il l'aimait bien.
    Strasbourg
semblait une belle ville aux maisons élégantes ; une cathédrale neuve y
était en chantier. Etienne le boulanger serra son frère sur sa poitrine
enfarinée et, le soir même, toute la famille se réunit pour faire honneur aux
voyageurs : deux fils, trois filles aux yeux noirs, les conjoints et les
enfants. Charlotte, la cadette, qui vivait encore avec son père, avait préparé
un plantureux souper et Rob, qu'elle dévorait des yeux, dut goûter plusieurs
sortes de pains.
    On chanta, on
dansa, Rob jongla : ce fut une joyeuse soirée. Puis ils se séparèrent et
le jeune barbier, rêvant un peu aux regards aguichants de Charlotte, se dit
qu'une telle vie de famille était peut-être le bonheur. Mais, quand il se leva
dans la nuit, il tomba sur Etienne qui, manifestement, montait la garde non
loin du lit de sa fille ; le boulanger tint à l'accompagner dehors et
retourna s'asseoir dans le noir dès que Rob fut retourné à sa paillasse.
    Le matin, il
conduisit les voyageurs au Rhin, qu'ils longèrent jusqu'à un gué. Alors Etienne
se pencha sur sa selle pour embrasser son frère.
    « Dieu
vous garde ! » dit-il à Rob, puis il tourna bride tandis que les
autres s'engageaient dans l'eau froide et agitée de remous. La pente était
raide sur l'autre rive et Cheval eut peine à tirer la charrette jusque sur la
terre des Teutons. Ils furent vite dans la montagne, entre les hautes forêts de
sapins et d'épicéas. Charbonneau gardait le silence – était-ce le regret
d'avoir quitté les siens ? – puis brusquement il cracha.
    « Je
n'aime pas ces gens-là, dit-il, ni leur pays.
    – Tu es
pourtant leur proche voisin depuis ta naissance.
    – On peut
vivre au bord de la mer sans pour autant aimer les requins. »
    Rob, au
contraire, trouvait belle cette région ; l'air était frais et
tonique ; en bas dans une vallée, on faisait les foins. Plus loin, dans
les hauts pâturages, des enfants gardaient des vaches et des chèvres montées
des fermes pour l'été. D'un chemin escarpé, ils aperçurent un grand château de
pierre grise. Deux cavaliers s'y exerçaient à la lance mouchetée.
    « C'est
le repaire du terrible comte Sigdorff. Quand il était jeune, ayant capturé deux
cents prisonniers dans une expédition contre Bamberg, il fit couper la main
droite à cent d'entre eux et la main gauche aux cent autres. »
    Ils
s'éloignèrent au petit galop. Vers midi, ils quittèrent la route romaine pour
aller donner un spectacle au prochain village, mais au détour d'un chemin un
homme gras et chauve, monté sur un cheval décharné, leur barra le passage en
marmonnant quelque chose.
    « Il
demande si on a de l'alcool, traduisit Charbonneau.
    – Dis-lui que
non.
    – C'est qu'il
n'est pas seul, ce fils de pute », reprit le Français sans baisser la
voix.
    Deux individus
émergeaient des bois : un jeune sur une mule, qui avait tout l'air d'être
le fils du gros, et un petit homme aux yeux cruels, à qui il manquait l'oreille
gauche : avec sa lourde monture, un vrai cheval de labour, ce troisième
personnage prit position derrière la charrette pour couper retraite aux
voyageurs. Le chauve se mit à brailler.
    « Il dit
que tu dois descendre et te déshabiller, expliqua Charbonneau, parce qu'ils
vont

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