Le médecin d'Ispahan
qui écouta sans
comprendre le déluge verbal de Zevi.
« Je ne
parle pas bien la Langue, et je n'avais pas besoin de ton aide, dit-il,
cherchant ses mots en persan.
–
Vraiment ? Eh bien, tu serais mort, jeune bœuf.
– C'était mon
affaire !
– Non et
non ! Dans un endroit bourré de musulmans et de chrétiens soûls, tuer un
seul Juif c'est comme manger une seule datte : ils en auraient profité
pour massacrer le plus possible des nôtres, et ça, ça me regarde !
Qu'est-ce que c'est que ce Yahud qui parle persan comme un chameau,
ignore sa propre langue et cherche la bagarre... ? Comment t'appelles-tu
et d'où viens-tu ?
– Je suis Jesse,
fils de Benjamin, et je viens de Leeds.
– Où c'est ça,
Leeds ?
– En
Angleterre.
– Un Inghiliz !Je n'avais encore jamais vu un Juif anglais.
– Nous sommes
peu nombreux et dispersés. Il n'y a pas de communauté, là-bas ; ni
rabbenu, ni synagogue, ni maison d'étude. Nous entendons rarement la Langue,
c'est pourquoi j'en sais si peu.
– Dommage
d'élever ses enfants là où ils ne sentent pas la présence de leur Dieu et où
ils n'entendent pas leur langue, soupira Zevi. C'est dur d'être juif. »
Il hocha la
tête quand Rob lui demanda s'il connaissait une grande caravane bien armée en
partance pour Ispahan.
« Un
guide m'a fait des propositions.
– Un salaud de
Persan, avec un petit turban et une barbe sale ? Il t'aurait mené tout
droit chez les brigands. Et tu te serais retrouvé couché dans le désert, la
gorge ouverte et dépouillé de tout. Il vaut mieux te joindre à une caravane de
notre peuple... Reb Lonzano, dit-il après avoir longuement réfléchi. C'est
peut-être la bonne solution. »
Comme on
l'appelait pour une bagarre de chameliers, il lui donna rendez-vous en fin
d'après-midi.
Rob le trouva
dans la cabane qui lui servait de retraite au caravansérail, avec trois
marchands juifs de Mascate. Ils retournaient chez eux dans le golfe Persique.
Reb Lonzano était le chef ; il avait encore la barbe et les cheveux bruns
mais ses rides et son regard sérieux le vieillissaient. Loeb ben Kohen et Aryen
Askari, plus jeunes et hâlés comme les gens qui voyagent, attendaient le
verdict de leur aîné.
« Ce
malheureux, dit Zevi, a été élevé comme un goy, ignorant, dans une lointaine
terre chrétienne, et il a besoin qu'on lui prouve que les Juifs peuvent
s'entraider.
– Que vas-tu
faire à Ispahan ? demanda Lonzano.
– Je vais
étudier pour devenir médecin.
– Ah
oui ! Le cousin de Reb Aryeh est étudiant à la madrassa d'Ispahan. »
Reb aurait
aimé en savoir davantage, mais ce n'était pas le moment.
« Peux-tu
payer ta part dans les frais du voyage ? Partager le travail et les
responsabilités ?
– Oui,
absolument. De quoi fais-tu commerce, Reb Lonzano ?
– Les perles,
répondit de mauvaise grâce le chef, qui tenait manifestement à garder
l'initiative des questions.
– Quelle est
l'importance de votre caravane ?
– Nous sommes la caravane », dit Lonzano, avec aux coins de la bouche l'ombre
d'un sourire.
Rob n'en
revenait pas. Il se tourna vers Zevi.
« Comment
trois hommes peuvent-ils m'assurer une protection contre les bandits et tous
les autres périls ?
– Ecoute-moi,
ce sont de vrais voyageurs. Ils savent quand il faut ou non prendre des
risques, quand il faut se terrer, où trouver aide et assistance tout le long du
chemin. Et toi, ami, qu'en dis-tu ? continua Zevi en s'adressant à
Lonzano. Le prends-tu avec vous ou non ? »
Le Juif
regarda ses deux compagnons, toujours impassibles et silencieux, mais sans
doute s'étaient-ils mis d'accord puisqu'il hocha la tête.
« Parfait.
Sois le bienvenu. Nous partons demain à l'aube, de la cale du Bosphore.
– J'y serai
avec ma jument et ma charrette. »
Aryeh renifla,
Loeb soupira et leur aîné fut catégorique :
« Ni charrette
ni cheval. Nous traversons la mer noire dans de petits bateaux pour éviter la
route de terre, longue et dangereuse.
– Ils
t'acceptent, c'est une chance ! dit Zevi en osant la main sur le genou de
Rob. Vends la voiture et la jument. »
l fallut bien se
décider.
« Mazel ! » s'écria Zevi satisfait, et il leur versa du vin rouge de Turquie pour sceller
l'accord.
En voyant
arriver son client à l'écurie, Ghiz n'en crut pas ses yeux. Ce magicien était
capable de toutes les métamorphoses ?
« Vous
êtes Yahud ?
– Oui, et j'ai
changé d'avis : je vends la voiture. »
Le
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