Le médecin d'Ispahan
incompréhensibles, il entendit des mots persans.
Aussitôt, il
se fit indiquer une bonne écurie, chez un nommé Ghiz à qui il pourrait laisser
sa jument. Elle l'avait bien servi et méritait maintenant repos et abondance de
grain. L'homme lui proposa une chambre dans sa propre maison, en haut du
« chemin des 329 marches. » Propre et claire, elle valait ascension.
Il regarda par la fenêtre le Bosphore où fleurissaient les voiles, plus loin
les coupoles et les minarets aigus comme des lances, et il comprit que les
puissantes fortifications étaient la défense de la chrétienté contre l'islam. A
quelques pieds de fenêtre finissait le territoire de la Croix. Au-delà du
détroit, commençait celui du Croissant.
Cette nuit-là
il rêva de Mary. Au réveil, fuyant sa chambre, il trouva des bains publics où,
après une douche rapide, il se prélassa comme un Césac dans la chaleur du tepidarium .
Affamé et plus optimiste, il s'en fut au marché juif acheter des petits
poissons frits et une grappe de raisin noir, qu'il mangea tout en cherchant ce
dont il avait besoin.
On vendait un
peu partout des tsisith , ces dessus qui permettaient aux Juifs, avait
expliqué Simon, de respecter la prescription biblique, leur faisant une
obligation de porter toujours des franges au bas de leurs vêtements. Chez un
marchand juif qui parlait persan, il prétendit en acheter un pour un ami de sa
taille, ce dont l'autre se moquait bien. Il n'osa pas non plus tout prendre au
même endroit et retourna aux écuries voir si Cheval était bonnes mains.
« Vous
avez une belle voiture, lui dit Ghiz. Je l'achèterais volontiers.
– Elle n'est
pas à vendre.
– Dommage
d'atteler une bête si misérable à une charrette comme ça qui n'a besoin que
d'un coup de peinture. Vous aurez du mal à vous en débarrasser.
– Elle n'est
pas à vendre non plus. »
Rob avait vu
tout de suite que Ghiz feignait de vouloir la charrette pour cacher son envie
de la jument. Il réprima un sourire à l'idée que cette pauvre ruse s'adressait
à un professionnel ; ayant la voiture sous la main, il s'amusa, pendant
que l'homme était occupé ailleurs, à lui préparer quelques tours de sa façon.
Il lui tira une pièce d'argent de l'œil gauche, escamota une balle sous un
foulard qu'il fit changer trois fois de couleur et lui offrit enfin, comme à
une fille rougissante, du ruban tiré de ses lèvres.
Le maître
d'écurie, fasciné, invoquait Allah et son Prophète. Rob aurait pu lui vendre
n'importe quoi.
Au repas du
soir, on lui servit une boisson brune, épaisse, écœurante et il en offrit à un
prêtre assis à la table voisine ; vêtu, selon l'usage du pays, d'une
longue robe noire et d'un haut chapeau cylindrique aux bords étroits, c'était
un homme rougeaud aux yeux écarquillés, désireux de mettre à l'épreuve sur un
Européen sa connaissance des langues occidentales. Ne sachant pas l'anglais, il
essaya le normand, le franc ; enfin, ils s'entretinrent en persan. C'était
un prêtre grec, le père Tamas. L'alcool le mit de bonne humeur et il le but à
grands traits.
« Vous
comptez vous établir à Constantinople, maître Cole ?
– Non. Je pars
pour l'Orient dans l'espoir d'y trouver des herbes médicinales à rapporter en
Angleterre. »
Le prêtre lui
conseilla de hâter son voyage car le Seigneur, disait-il, avait ordonné une
juste guerre entre la seule Eglise véritable et le sauvage musulman. Il
fallait, avant de partir, voir absolument Sainte-Sophie, la plus belle église
du monde. L'empereur Constantin lui-même, qui l'avait fait édifier, était tombé
à genoux en y entrant pour la première fois : « J'ai fait mieux que
Salomon ! » s'était-il écrié.
« Ce n'est
pas sans raison que le chef de l'Eglise s'est établi dans cette magnifique
cathédrale.
– Le pape Jean
a-t-il quitté Rome ? demanda Rob, surpris.
– Jean XIX
reste le patriarche de l'Eglise chrétienne de Rome. Mais Alexis IV est celui de
l'Eglise chrétienne de Constantinople. Il est ici notre seul pasteur »,
dit froidement le père Tamas.
Le lendemain
matin, Rob retourna aux bains d'Auguste, déjeuna dans la rue de pain et de
prunes fraîches, puis alla au marché choisir avec le plus grand soin un châle
de prière à franges, des phylactères et deux grands caftans.
Quittant le
bazar par une rue qu'il ne connaissait pas, il se trouva près de Sainte-Sophie
dont il franchit les portes monumentales. Dans cet espace immense
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