Le médecin d'Ispahan
admirablement
proportionné, de pilier en arc, d'arc en voûte, de voûte en coupole, les milliers
de flammes des lampes à huile se reflétaient sur l'or des icônes, les murs de
marbres précieux, le brocart des chasubles. La nef était presque vide. Il
s'assit sous un christ torturé dont il sentit le regard le pénétrer.
Curieusement, sa trahison calculée réveillait en lui un sentiment religieux. Il
se leva et, debout, en silence, il affronta ce regard.
« Il faut
que je le fasse. Mais je ne t'abandonne pas », dit-il à haute voix.
De retour dans
sa chambre, en haut de la colline, il posa sur la table le petit carré de métal
poli qui lui servait de miroir ; puis il coupa ses cheveux longs et
emmêlés au-dessus des oreilles en ne laissant que les boucles rituelles, les
peoth. Il se dévêtit et enfila le tsitsith avec une vague inquiétude : il
lui semblait que les franges rampaient contre sa peau. Le caftan noir était
moins impressionnant, ce n'était qu'un manteau long : rien de religieux.
La barbe était encore clairsemée. Il arrangea les boucles sous le chapeau en
forme de cloche, qui heureusement, semblait déjà vieux et usagé.
Il lui fallait
un nom. « Reuven »n'avait été à Tryavna qu'une caricature hébraïque
de son identité de goy.
Jesse... Un nom
qui lui rappelait les lectures à haute voix que Mam lui faisait de la Bible. Un
nom fort, avec lequel on pouvait vivre : le nom du père du roi David. Puis
il choisit Benjamin comme patronyme, en l'honneur de Merlin, qui lui avait
appris ce qu'un médecin pouvait être. Il dirait qu'il venait de Leeds, car il
se rappelait très précisément les maisons juives de là-bas.
Dans la rue, il
eut envie de fuir en voyant trois prêtres marcher à sa rencontre ; l'un
d'eux était le père Tamas. Ils allaient tous trois d'un pas lent, noirs comme
des corbeaux et absorbés dans leur conversation. Rob se força à avancer et dit
en les croisant :
« La paix
soit avec vous. »
Le prêtre grec
jeta au Juif un regard méprisant sans répondre à son salut. Calme et confiant,
désormais, Jesse ben Benjamin de Leeds sourit et continua son chemin à grands
pas, la main contre sa joue droite, comme le rabbenu de Tryavna quand il se
promenait, perdu dans ses pensées.
TROISIÈME PARTIE
Ispahan
34. LA DERNIÈRE ÉTAPE
Malgré sa nouvelle apparence, Jesse se sentait encore Rob J. Cole en se rendant au
caravansérail à midi. Un important convoi préparait son départ pour Jérusalem
et la grande cour n'était qu'un désordre de chameaux, d'ânes et de voitures, où
se répondaient les cris des bêtes et des humains qui protestaient les uns
contre les autres. Quelques chevaliers normands monopolisaient la zone d'ombre au
nord des entrepôts ; vautrés par terre, ivres morts, ils insultaient les
passants.
Rob, assis sur
un ballot de tapis de prière, observait le chef des caravanes : un robuste
Turc coiffé d'un turban noir, sur des cheveux grisonnants qui avaient dû être
roux. Simon lui avait dit grand bien de ce Zevi qui, en effet, semblait avoir
l'œil à tout, gourmandait les chameliers, réglait les différends entre
marchands et transporteurs, conférant sur la route à suivre avec le maître de
caravane, contrôlant les bons de chargement.
Un Persan
s'approcha, un petit homme aux joues creuses, à la barbe ponctuée de restes du
gruau matinal, coiffé d'un turban orange, sale et trop étroit pour son crâne.
« Où
vas-tu, l'Hébreu ?
– J'espère
partir bientôt pour Ispahan.
– Ah ! La
Perse ? Tu veux un guide, effendi ? Je suis né à Qum, près
d'Ispahan, et je connais chaque pierre et chaque buisson de la route. Les
autres te feront faire le détour par la côte, puis à travers les montagnes
persanes. Ils ont peur du raccourci par le grand désert salé. Moi, je te le
ferai traverser par les points d'eau, en évitant les brigands. »
Rob fut tenté
d'accepter et de partir sur-le-champ en se rappelant les bons services de
Charbonneau. Mais il y avait dans cet homme quelque chose de fuyant, et il refusa
d'un signe de tête.
Peu de temps
après, un des nobles pèlerins passa près de là et, titubant, tomba sur lui.
« Sale
Juif ! » dit-il et il cracha.
Rob se leva,
rouge de colère ; le Normand empoignait déjà son épée quand Zevi apparut
soudain.
« Mille pardons,
monseigneur ! Je vais m'occuper de celui-ci », dit-il au chevalier,
puis il s'éloigna en poussant devant lui le barbier stupéfait
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