Le médecin d'Ispahan
Grec. Ils espèrent peut-être que le vent nous déportera
vers le large. Alors ils nous tueraient pour prendre ma cargaison et votre
argent. «
Plus le soleil
montait, plus l'odeur des corps malpropres devenait incommodante malgré la
brise marine. Les moines mendiants avaient pourtant un avantage : cinq
fois par jour, le capitaine revenait vers le rivage pour leur permettre de se
prosterner dans la direction de La Mecque. Les autres en profitaient pour
prendre à terre un repas rapide ou vider derrière buissons et dunes leurs
vessies et leurs entrailles. Rob sentait sa peau d'Anglais, pourtant faite aux
intempéries, tourner au cuir sous l'effet du soleil et du sel.
Les Juifs
priaient sur le bateau et, comme eux, il mettait chaque matin ses tefillim,
ainsi qu'il l'avait vu faire à Tryavna, en espérant que son ignorance passerait
inaperçue.
« Pourquoi
enroules-tu du cuir autour de tes bras le matin ? lui demanda Melk, le
jeune derviche.
– C'est un
commandement du Seigneur, inscrit dans le Deutéronome.
– Et pourquoi couvres-tu
tes épaules d'un châle, quelquefois, pour prier ?
– Parce que
l'Ineffable, béni soit-Il, nous a ordonné de le faire », répondait-il
gravement, malgré son angoisse d'en savoir si peu.
Malek
l'écoutait, hochait la tête avec un sourire, et Rob, en se retournant,
surprenait le regard de Reb Lonzano qui l'observait, de ses yeux aux lourdes
paupières.
35. LE SEL
Les deux premiers jours furent calmes, mais le troisième, le vent fraîchit et la
mer devint plus forte. Ilias maintenait habilement le cap malgré les pirates et
la houle. Au coucher du soleil, Rob s'inquiéta de formes sombres qui montaient
des eaux couleur de sang et tournaient en bondissant autour du bateau, mais le
Grec se mit à rire : c'était, dit-il, des marsouins, créatures inoffensives
et joueuses.
A l'aube, le
barbier retrouva le mal de mer comme une vieille connaissance et ses
haut-le-cœur contaminant les marins eux-mêmes, on n'entendit plus à bord qu'un
chœur de malades suppliant Dieu dans toutes les langues d'abréger leurs
souffrances. Rob demandait qu'on l'abandonne sur le rivage mais Lonzano secoua
la tête : plus de haltes sur cette côte où les Turcomans tuent les
étrangers ou les réduisent en esclavage. Son cousin, qui tenait avec ses deux
fils une caravane de blé, avait été pris ; ligotés et enterrés jusqu'au
cou dans leur propre grain, ils étaient morts de faim et leur famille avait dû
racheter les cadavres pour leur donner une sépulture.
Après quatre
jours interminables, Ilias aborda dans un petit port peu accueillant :
Rize, une quarantaine de maisons faites de bois ou d'argile séchée au soleil.
Les derviches crièrent « Imshallah ! » , Dedeh
salua Lonzano, Malek sourit à Rob et ils s'en allèrent. Les Juifs se mirent en
chemin comme des gens qui savent où ils vont. Des chiens aboyaient sur leur
passage, des enfants aux yeux malades gloussaient, une femme misérable
cuisinait en plein air, un vieux cracha derrière eux.
« Leur
principal commerce est la vente des animaux aux voyageurs qui débarquent pour
continuer par les montagnes. Loeb s'y connaît parfaitement, il suffit de lui
donner l'argent, il achètera pour nous tous », dit Lonzano.
Ils arrivèrent
à une cabane près d'un vaste enclos où étaient parqués des ânes et des mules.
Le vendeur, un borgne à qui manquaient deux doigts de la main gauche, amenait
les bêtes par le licol. Loeb ne marchandait ni ne discutait ; regardant à
peine le troupeau, il s'arrêtait de temps en temps pour examiner les yeux, les
dents, les garrots et les jarrets. Il n'acheta qu'une mule et le marchand se
rebiffa devant son offre médiocre, mais, voyant le client s'éloigner avec un
haussement d'épaules, il le retint et accepta son argent.
Ils achetèrent
ailleurs trois animaux et le troisième vendeur qu'ils visitèrent, regardant
longuement leurs montures, proposa lui-même son choix : il avait compris
qu'il avait affaire à des connaisseurs. Ainsi, ils eurent chacun un petit âne
robuste et une solide mule de bât.
Lonzano ayant
annoncé que, si tout allait bien, il ne restait plus qu'un mois de voyage avant
Ispahan, Rob reprit courage. Ils traversèrent la plaine côtière en une journée
et les premières collines en trois jours avant d'aborder les hauteurs. Il
aimait les montagnes mais celles-ci semblaient arides et rocheuses.
« A part
les inondations brusques et dangereuses du
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