le monde à peu près
la nourriture n’était pas fameuse), avant que d’un
claquement de mains énergique ledit Juju autorise les mouettes, mais dans le
doute on le prenait pour nous aussi, à s’asseoir et à ouvrir leur caquet. Pas
trop fort, non plus. Le spectre du chahut avec projections de fromage blanc,
jets de purée et autres lancers, que nous nous contentions d’ébaucher, la
cuiller pleine transformée en trébuchet, visant un camarade ou le globe du
plafond, tandis que le majeur en appui sur le bord de la cuiller faisait office
de clapet de sécurité, impliquait une vigilance aiguë et de fréquents rappels à
l’ordre dès que le niveau sonore, répercuté par les larges baies vitrées et le
sol carrelé, virait au brouhaha. Un nouveau claquement de mains plus véhément
encore que le premier nous incitait à baisser le ton, voire, en cas de
récidive, nous condamnait au silence jusqu’à la fin du repas dans un cliquetis
de fourchettes et de couteaux, d’assiettes entrechoquées et de verres reposés.
Curieusement, ce n’était pas Gyf qui dans cette atmosphère cistercienne ne
manquait jamais de puissamment roter, mais un modèle de discrétion d’ordinaire
qui trouvait là un terrain à sa convenance pour sa formidable capacité à
produire ce type de son à la demande. Rire collectif et libérateur d’autant
plus assuré qu’au réfectoire nous ne craignions pas les mesures de rétorsion
groupées. Seul le bruiteur depuis longtemps repéré écopait des cent lignes
rituelles, je ne me livrerai plus à ce genre d’incongruités, lequel rétorquait à
chaque fois, et toutes les radios le démontraient, qu’il souffrait
d’aérophagie. Et il s’empressait de soulever sa chemise pour exhiber sa fameuse
poche d’air source de tous ses maux, mais ce n’était pas ce qu’on lui
demandait, plutôt de mettre la main devant sa bouche, et donc les cent lignes
étaient doublées. Pour ce moment de gloire, c’était presque donné.
En cours, ce genre de manifestation était impensable. Quant
à ouvrir la bouche, il fallait attendre d’y être invité par l’autorité
compétente – ce qui était rarement bon signe. On n’interrogeait
jamais celui qui était censé savoir – s’il sait, à quoi bon le lui
demander ? Et c’est justement ce qui le tracasse, celui-là, toujours le
même, cette connaissance dont il n’arrive pas à faire l’étalage en public, dont
il attend autre chose qu’en tête de copie une appréciation louangeuse mais à
des fins personnelles, presque intimes, quand il aimerait que ça se claironne
davantage, cette supériorité manifeste. Ce qui fait qu’il s’oublie parfois à
lever un bras, impatient d’apporter la bonne réponse, et si exaspéré par
l’inculture de son voisin qu’il en vient à claquer des doigts : un
frottement sec du pouce contre le majeur destiné à attirer l’attention sur lui,
au lieu qu’il devrait savoir, le malheureux, que c’est par un fait exprès, tout
exprès, que l’autorité du haut de l’estrade ostensiblement l’ignore. Si bien
que cette insistance, ce claquement sonore, finit par lui porter préjudice.
Perdant ainsi tout le bénéfice de son savoir, le voilà comme un vulgaire cancre
convié à copier cent fois : on ne claque pas des doigts en classe, à tous
les modes, à tous les temps, ce qui d’ailleurs ne devrait pas lui poser de
problèmes particuliers tant il brille dans toutes les matières, et donc en
grammaire, et même, ce qui est injuste, en sport. Mais ce qu’il paye au fond,
ce sont ses bonnes notes à répétition, la sanction visant à gommer tout soupçon
de favoritisme.
Si celui qui sait on veille à ne pas l’interroger, c’est
donc pour interroger celui dont on sait, à moins d’un hasard improbable, qu’il
ne saura pas. Lequel le sait tellement qu’il cherche à se faire tout petit dans
le dos d’un camarade, s’écrasant sur la tablette relevable de son bureau,
espérant en une isochromie miraculeuse qui le ferait se confondre avec le bois,
tandis que l’autorité balaie du regard l’ensemble de la classe à la recherche
d’une victime de choix, bien ignorante, à point, sans songer un instant que
cette ignorance lui revient peut-être en partie. Comme il s’attarde maintenant
sur la partie droite des bancs où vous n’êtes pas, vous éprouvez sur le coup un
vif soulagement, plein de compassion pour le pauvre élu de l’autre côté de
l’allée centrale, mais après tout autant que ce
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