Le Monstespan
petits
pieds d’Athénaïs effleurent à nouveau le plancher. Et les baisers répétés et la
gaieté permise. Et les reflets sortis de la cheminée, sur les meubles cirés,
aiment à nouveau tournoyer. Montespan dit :
— Ton
rire éclaire mon cœur comme une lanterne une cave.
— Chéri,
je vais mettre mon dernier bijou : ma parure d’émeraudes.
Louis-Henri se
coiffe d’une perruque double usée qui n’est plus très à la mode. Dans la rue
Taranne, ils hèlent deux chaises à porteurs. Une porte s’ouvre entre des
brancards et Athénaïs pénètre dans la première caisse :
— À
l’hôtel de Montausier !
Les valets du
second véhicule, où a pris place Louis-Henri, s’évertuent à rester dans son
sillage.
9.
Dans ce salon
du Marais, Louis-Henri ne reconnaît plus sa femme. Celle-ci, cet après-midi,
tellement désespérée, est maintenant comme un poisson dans l’eau. Elle déambule
entre les tables de jeu. Bien des gens de la cour, venus ce soir à Paris,
fixent aussitôt leurs regards sur elle, s’approchent et la flattent :
« Quelle robe merveilleuse, et vous la portez avec tant de grâce ! Ce
sont les fées qui ont fait en secret cet ouvrage ; âme vivante n’en avait
eu connaissance ! » La conversation d’Athénaïs éclate en mots
charmants plus naïfs que roués, bien que roués quand même. Alors qu’on lui
propose sur un plateau d’argent des chocolats, elle fait mine de vouloir se
raisonner :
— Ne pas
en prendre trop... La marquise de Coëtlogon raconte que ce n’est pas parce
qu’elle pratique le trafic d’esclaves mais parce qu’elle a mangé trop de
chocolats étant grosse qu’elle a accouché d’un petit garçon noir comme le
diable !
Autour d’elle,
ça rit. Les perruques ébrouent leur poudre de fève. Passant près du billard où
l’on évoque ce duc d’Auvergne ayant récemment reçu le bâton fleurdelisé,
Athénaïs commente : « C’est un maréchal que la seule vue d’un
marcassin fait tomber en syncope. » Son humour féroce enchante et touche
sa cible en plein cœur. « Ce n’est pas un homme, ni un petit homme, ce
n’est pas une femme, c’est une femmelette. »
— Oh !
Les courtisans
s’esclaffent. Leurs lèvres s’étirant découvrent des dents cassées et pourries
mais ils ont en bouche cannelle et clous de girofle afin d’avoir le flairer
doux. Un aristocrate conseille un autre : « Les caries sont dues à
des vers dentaires qu’il faut tuer avec des emplâtres de poudre de corne de
cerf mélangée à du miel. » Et ils trinquent en buvant une eau-de-vie de
fenouil, demandent à Montespan : « Qu’en pensez-vous ? »
Cravate fatiguée en dentelle, justaucorps râpé et chausses à tuyaux d’orgue
avachies, Louis-Henri, sous les lambris d’or, tourne sa veste sale. Il ne se
sent pas à l’aise parmi ces gens avec qui il faut toujours avoir la bouche
ouverte pour rire ou parler. Il reconnaît devant lui, tirée en arrière et
maintenue par un cerceau, la coiffure caractéristique d’Athénaïs retombant de
chaque côté de la nuque. Derrière son dos, il la prend par la taille et se
penche à son oreille, elle se retourne. Ce n’est pas Athénaïs mais une inconnue
coiffée comme elle. Il demande excuse : « Oh, veuillez me pardonner,
je croyais que... » et s’aperçoit que beaucoup de femmes de l’assemblée
ont adopté la coiffure à la hurluberlu de son épouse. Un duc (Lauzun) - taille
ordinaire – ricane du spectacle de la gent féminine :
— Si les
femmes étaient telles qu’elles le deviennent par artifice, visage aussi allumé
et aussi plombé par le rouge dont elles se fardent, elles seraient
inconsolables.
Trois petits
chiens de Bologne l’accompagnent. Quand Lauzun pète, il les accuse alors du
méfait. Montespan s’éloigne. Un orchestre de violons joue des branles et des
courants. Des fruits confits sont servis par une cohorte de laquais. A une
table de hoca, Louis-Henri dépose une petite mise, joue un jeu de garnison. Il
surprend des chuchotements moqueurs, sent des regards, mais lui n’a plus d’yeux
que pour sa blonde, là-bas.
Étendue sur un
divan, elle apparaît comme un jouet magnifique et voluptueux très entouré. La
vie étincelante sous le plafond en stuc orné de fleurs, de fruits et de scènes
pastorales, lui plaît. Elle se délecte de la volatilité des mots :
— Mme de
Ludres, quittée par son amant, ne parle plus d’aucune retraite au
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