Le Monstespan
rit
aussi :
— Quant à
votre beauté, marquise, un jour d’automne que vous étiez venue danser à
Versailles, j’ai dit à Sa Majesté : « Regardez donc, sire, voilà une
fort belle statue ; en la voyant, je me demandais dernièrement sielle
sortait du ciseau de Girardon et j’ai été bien surpris lorsqu’on m’a dit
qu’elle était vivante. » Le roi m’a répondu : « Statue autant
que vous voudrez mais, vive Dieu, c’est une belle créature. »
Louis-Henri
est ébahi :
— Tu
entends, Athénaïs, le plus grand monarque du monde te trouve à son
goût !...
La Montespan
rosit. La duchesse de Montausier – soixante ans, le cheveu tout fin,
frisotté, blanc – est suivie d’un esclave noir, affublé d’un costume
chamarré et coiffé d’un turban, qui porte une ombrelle (dans un
appartement !) comme ces petits animaux de compagnie dont on raffole. La
couleur de sa peau met en valeur la blancheur de l’hôtesse prenant Athénaïs par
le bras et l’entraînant vers un salon :
— Justement,
ma petite, je me disais... La reine Marie-Thérèse, inquiète d’héberger un harem
pour le roi, a décidé de congédier ses demoiselles d’honneur pour les remplacer
par de respectables épouses.
— Sa
Majesté avait un peu tendance à venir cueillir de jolies fleurs dans « le
jardin » de la reine, explique le duc de Montausier à Montespan qui hoche
la tête d’un air entendu.
— Le roi
sélectionnera six dames avant fin décembre, reprend l’hôtesse. Les places
seront limitées à deux princesses, deux duchesses, deux marquises ou comtesses.
Presque toutes les femmes de la cour y prétendent, chacune fait sa cabale.
« Espérons
cette fois-ci qu’aucune ne sera sa maîtresse... », commente le duc
derrière Athénaïs qui se retourne : « Dieu me garde de l’être et, si
je le devenais, je serais bien honteuse devant la reine. » Louis-Henri
confirme en hochant la tête.
— Les
princesses d’Elbœuf et de Bade, les duchesses d’Armagnac et de Créqui, la
marquise d’Humière, semblent bien placées, pronostique l’hôtesse. Il y avait
aussi la comtesse de Guiche mais, comme vous l’avez tout à l’heure si drôlement
évoqué, elle est entrée en disgrâce, donc... Voyez-vous ce que je veux dire,
monsieur ? demande la duchesse sous son ombrelle en pivotant le visage
vers un Montespan bouche bée. Je pourrais solliciter auprès du monarque, si
vous m’en donniez l’autorisation, la promotion de votre femme en tant que dame
d’honneur de la reine.
— Oh,
mais ce serait merveilleux pour Athénaïs ! s’exclame aussitôt Louis-Henri
face à son épouse qui écarquille de grands yeux et n’en revient pas.
— Dame
d’honneur... à Versailles ! Vous pensez que ce serait possible, madame de
Montausier ?
— Vous
avez les qualités pour cela : que d’appas, que d’attraits, de
charmes ! Pour tout dire en un mot : que d’armes !
— Et
comme vous, côté armes..., chuchote le duc à l’oreille de Montespan. Marsal,
Gigeri, vous ont beaucoup endetté et rien rapporté, je crois. Sachez que les
dames d’honneur sont largement pensionnées ! met-il en évidence pour finir
de convaincre Louis-Henri qui n’a pas besoin de l’être. Bien sûr, cette charge
n’inclut pas le mari dans ses fonctions...
— Bien
sûr.
Là-bas, des
joueurs devant un rideau rouge hurlent, s’arrachent les cheveux et pleurent
comme rue Saint-Denis. Le marquis de Beaumont vient de perdre intégralement sa
fortune en une seule partie. Il affiche un calme imperturbable. Chacun sait que
tout à l’heure, chez lui, il se brûlera la cervelle. Athénaïs dit :
— Nous
allons partir. La tête me tourne.
Après les
saluts, remerciements, promesses de se revoir vite, les Montespan s’en vont.
Place royale, un bossu accroupi se lève, sort de sous une arcade. Il tient au
bout d’un bâton une grosse lumière.
— Cinq
sols la course ! Qu’est-ce que c’est cinq sols lorsqu’on a comme vous,
Monsieur, les talons rouges ?
Le marquis
indique son adresse et donne la pièce.
— Vous
êtes raisonnables, apprécie le porte-lanterne. La forêt la plus funeste et
moins fréquentée du royaume est auprès de Paris un lieu de sûreté...
Sa vessie
lumineuse va et ondule. Les ombres se tassent, s’étirent sur les murs. Les
amoureux de la rue Taranne, se prenant par le bras, suivent le bossu. Athénaïs
appuie le sommet de son crâne contre l’épaule du
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