Le Monstespan
portrait
de sa maman ! »
Mais Athénaïs,
près d’elle dans la boutique, se tord les doigts tandis que Marie-Christine
– deux ans – s’accroche à la jupe de sa mère qui la repousse :
« Laisse-moi. »
Louis-Henri de
Pardaillan, assis dans un haut fauteuil, se fait raser et regarde sa
femme :
— Ça va,
Athénaïs ?
La marquise ne
va pas bien. Elle se sent oppressée, a du mal à respirer et des envies brutales
de pleurer. La bonne et dodue perruquière croit comprendre son malaise :
— Ne vous
en faites pas, ma petite, il doit s’agir d’une réaction post partum relativement
fréquente. J’ai connu ça, moi, après la naissance de mon fils. Tu te rappelles,
Joseph ?
— Oh
là ! s’exclame le perruquier, essayant un nouveau postiche sur le crâne de
Montespan. Tu étais devenue tellement sensible : la moindre contrariété,
et mêmeparfois un compliment, te provoquait une crise de larmes ou de
colère. Tu perdais l’appétit, avais des insomnies et des difficultés pour te
concentrer à tel point que je me demandais si tu ne pensais pas à quelqu’un
d’autre.
— Bouh !...
La jolie
marquise éclate en sanglots. Son mari s’empare de la serviette sur ses genoux
pour essuyer d’un geste la mousse à raser de son visage. Il pousse la bassine
en cuivre devant lui, se lève :
— Athénaïs !...
Il enlace sa
femme tandis que leur fille s’accroche à elle : « Maman,
maman. »
— Mais
arrête de tirer sur ma jupe, toi, tu vas la déchirer ! Oooh !...
Athénaïs fond
en larmes, s’agenouille et s’excuse aussitôt auprès de la petite :
« Pardonne-moi, Marie-Christine. Je ne suis pas une mère comme il faut. Je
n’ai pas d’instinct maternel... »
— Mais
si ! lance à voix haute Constance Abraham, réveillant ainsi le nourrisson
toujours dans ses bras qui se met à pleurer. N’ayez crainte, ma jolie, une
dépression post partum ne dure jamais bien longtemps. En l’espace de
quelques heures à quelques jours, vous vous sentirez à nouveau la plus heureuse
des mamans ! Et vous en voudrez plein d’autres, des enfants.
— Surtout
que vous êtes fort féconde, votre poudre prend vite feu, constate le
perruquier. À chaque retour de campagne, votre mari vous retrouve grosse.
Constance
berce Louis-Antoine, qui continue de crier.
— La
seule question qu’on peut se poser est : après le premier enfant qui
ressemble tant à son père et le deuxième tellement à sa mère, à qui ressemblera
le troisième ?
— Wouah !...
La marquise se
relève, secouée de spasmes violents, dans un extraordinaire état de tristesse
et d’angoisse. Penchés sur la rambarde de la mezzanine, les apprentis –
portant des fers, des papillotes, de l’eau gommée à base de glu de cerisier
pour durcir les boucles – lorgnent à la verticale les seins d’Athénaïs.
Ceux-ci, dans les suffocations, bondissent, encore plus gros parce que destinés
à allaiter, défont quelques boutons de la chemise. Les apprentis se penchent.
La jupe moirée d’Athénaïs balance sur le carrelage de la boutique car elle
s’enfuit en ondulant des hanches vers la porte du fond et l’escalier qui mène à
l’appartement. Elle s’excuse :
— Pardonnez-moi,
je suis ridicule !...
Les apprentis
sont suffoqués par la rondeur remuante de son cul. Joseph Abraham, relevant la
tête, découvre que plusieurs d’entre eux se touchent :
— Eh
bien, là-haut, vous voulez que je monte vous aider ?
Montespan
– de la mousse à raser traînant au menton et sous une perruque en
chantier où pendent des ficelles de chanvre afin de lier les cheveux et des
petites cares en fer pour les démêler et les étirer – est désemparé.
Mme Abraham,
cherchant à calmer les hurlements du nourrisson, glisse dans sa bouche une
sucette en forme de fleur de lys que Louis-Antoine tète aussitôt avec avidité,
en silence.
— Montez
prendre soin de votre femme, conseille la perruquière au mari, et trouvez de
quoi la distraire. Ne vous en faites pas pour les bambins, je peux les garder
jusqu’à demain si vous voulez...
— D’ici
là, j’aurai fini votre postiche, ajoute Joseph. Donnez-le-moi que je le boucle.
Louis-Henri de
Pardaillan, dorénavant en coiffe de dessous de perruque, remercie ses
propriétaires.
Il glisse le
revers d’un index sur une joue du petit Louis-Antoine, se dirige vers sa fille
qui vénère Athénaïs autant qu’il la vénère. D’ailleurs,
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