Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
Vom Netzwerk:
récompensera...
    Mais une
dernière charge l’atteint en pleine tête. Il meurt dans les bras de Montespan.
    La houle
marine dans la nuit sans étoiles roule et déroule parmi les bruits sourds et
les craquements du vaisseau —  La Lune  – à bord duquel le
Gascon a trouvé place. Le bateau surchargé de blessés est le dernier à avoir
levé l’ancre. Les autres navires de transport —  L’Hercule, La Reine... -
(en meilleur état) emmènent le haut commandement au large tandis que
Louis-Henri est à bord de ce rafiot prenant l’eau, qui se traîne. Il fut mal
radoubé par Rodolphe, le charpentier de Toulon. Des planches éclatent sur le
pont où les grands brûlés ont quitté leur chemise de peau. Tout autour du
marquis assis, les vents rôdent sur des tronçons humains. Des linges blancs ou
bleus entourent les moignons de cette buanderie militaire, ce bain populaire
qui, pour les cœurs un peu sensibles, rendent ces hommes plus effrayants que
des monstres. Et là, les formes, les sueurs de ces centaines de christs aux
yeux sombres et doux. Près de Louis-Henri, un homme éventré fredonne. Sa bouche
est béante et ses manches font vaguement par l’espace des signes fous auxquels
personne ne répond. Il chantonne :
     
    Beaufort
dans les conseils tonne,
    On le
redoute avec raison,
    Mais à la
façon dont il raisonne,
    On le
prendrait pour un oison...
     
    De longues rames
s’allongent et battent en cadence la surface de l’eau. Au matin, à proximité de
la presqu’île de Giens, La Lune se fracasse brusquement sur un écueil et
sans que les marins aient le temps de réagir, coule comme une pierre. Mille
deux cents blessés des régiments de Picardie et de Normandie sont perdus.
Quelques-uns s’en sortent miraculeusement, s’accrochant à une chaloupe.
Montespan, dans les bouillons aspirants, descend très profondément. Il a du mal
à remonter, trop alourdi par ses sacoches qu’il n’a pas lâchées du poing. L’or
le leste. Il doit s’en débarrasser. Dans les mouvements d’eau provoqués par le
bateau touchant le fond, tandis que les sables remontent et lui griffent le
visage, à tâtons il pioche dans le trésor dont il emplit les poches de sa
redingote militaire. Il lâche les sacoches et remonte de son apnée au bord de
l’asphyxie. La chaloupe est très au loin et il n’a pas la force de crier. Il
tente de se calmer et nage parmi des corps mutilés, s’accroche à l’un d’eux
pour reprendre son souffle et, au ras de l’eau, contemple le désastre de cette
expédition manquée contre les Barbaresques. Il se surprend à penser :
« Où est donc La Fontaine ? Le fabuliste n’en fait pas un beau
sonnet ? Et Le Brun, ces moignons flottants ne l’inspirent pas pour une
jolie tapisserie ? » Puis il repart à la brasse lente sur la
Méditerranée en deuil mais il est vraiment trop épuisé et, de chaque côté, les
poches pleines de sa redingote l’attirent encore vers le fond. Il plonge la
tête sous l’eau, arrache les coutures. Il regarde, dépité, les lourds bracelets
couler à pic et les parures de diamants, colliers de pierres précieuses, filer
comme des serpents. Les rangs brisés de perles ondulent et leurs petites taches
blanches s’échappent du fil. Elles s’éparpillent, scintillent, et disparaissent
dans l’eau noire.
    Enfin, il voit
au loin une prairie, et les derniers boutons-d’or, les dernières marguerites,
demandent grâce au jour. Il s’échoue sur la plage telle une méduse. Une joue
dans le sable, sa bouche fait des bulles  – un chapelet d’amour :
« Athénaïs... »
    Il rentre en
France sans que son nom ait trouvé la moindre illustration dans cette guerre.
Encore une fois, Montespan revient non couvert d’honneurs mais de honte et de
dettes. Le cerveau bourré de chiffons, il arrive à pied, en chemise et tête
nue, rue Taranne. Il grimpe les marches, ouvre la porte de la cuisine.
Athénaïs, assise dans une cuve, prend un bain. Elle se lève, une serviette
devant elle, puis, reconnaissant son mari, la laisse tomber dans l’eau. Louis-Henri
regarde son ventre arrondi, bouche bée.

 
7.
     
     
    — Une
fille et puis maintenant un garçon : c’est ce qu’on appelle « le
choix du roi »  !
    Constance
Abraham, la femme du perruquier de la rue Taranne, s’extasie en contemplant un
nourrisson endormi qu’elle soulève dans ses mains : « Ah, vive Dieu,
qu’il est joli ce petit Louis-Antoine à la peau si blanche. C’est le

Weitere Kostenlose Bücher