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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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grand mari :
    — Si
j’obtenais la place, on rachèterait la location des chevaux de notre carrosse.
    Elle sort de
son aumônière un œil-de-chat qu’elle embrasse. Rue Saint-Benoît, Louis-Henri
dit :
    — Je ne
savais pas que le roi t’avait vue...
    — Je l’ai
vu aussi.
    — Ah bon,
comment est-il ? Une fois, dans la foule, je n’ai pu apercevoir que le
haut de sa perruque.
    — Il est
petit. Il a des yeux sombres au charme exotique.
    Devant la
porte du modeste logis des Montespan, le boiteux porte-lanterne se retourne et
les attend. Il semble lire dans les nuages de buée s’échappant de leur bouche
en cette nuit glacée de début décembre. Puis, insecte volant, il court vers le
Châtelet en bourdonnant :
    — Charme
exotique...

 
10.
     
     
    — Rooh...
Oh, oh, oh !... Gru-gru-gru !
    Athénaïs gronde,
étire ses anglaises sur les côtés en l’air comme des cornes de diable. Elle
fait une tête terrible aux yeux qui tournent :
    — Attention,
je suis un démon...
    Sa fille de
trois ans  – la pâle et maigre Marie-Christine  – s’enfuit sur le
carrelage du perruquier en hurlant de terreur et de bonheur tandis que sa mère
la poursuit vers l’escalier qui mène à l’appartement des Montespan :
    — Rooh...
Oh, oh, oh !...
    — Ça
s’arrange, les contrecoups des relevailles de votre femme..., commente, dans la
boutique, Joseph Abraham en installant une perruque neuve sur le crâne de
Louis-Henri. Rien à voir avec hier. C’est votre soirée en ville qui lui aura
fait du bien ?
    — Elle a
appris que le roi l’avait remarquée et, ce matin, on lui a annoncé qu’il
voulait la rencontrer aujourd’hui même.
    — Le
roi ? !... Mais pour quoi faire ?
    — On ne
peut encore rien dire tout le temps que ce n’est pas sûr. Athénaïs prétend
qu’annoncer les choses à l’avance porte malheur. N’est-ce pas, chérie ?
lance-t-il au miroir présenté devant lui pour qu’il y admire son postiche mais
dans lequel il regarde venir le reflet de la jeune marquise aux airs de
Belzébuth pourchassant Marie-Christine :
    — Rooh...
Oh, oh, oh !... Gru-gru-gru !
    L’enfant se
réfugie entre les jambes de son père assis sur un fauteuil aux accoudoirs en
cuir rembourré et clouté. Pendant qu’on poudre sa perruque d’amidon, il caresse
les cheveux fins de sa fille devenue écarlate et dont le cœur bat très vite.
Mme Abraham porte le nourrisson dans ses bras et sourit :
    — Vos
enfants furent charmants, hier, Athénaïs. Louis-Antoine a bien tété la
nourrice, fait sa nuit. Et la petite, quand elle vous retrouve et que vous
jouez avec elle, paraît tellement heureuse... On dirait qu’elle revit.
    — Rooh...
Oh, oh, oh !... Gru-gru-gru !
    L’enfant
quitte les jambes de son père. À nouveau des galopades tandis que Montespan et
le perruquier se mettent à parler politique :
    — Que
pensez-vous de la nouvelle guerre, cette fois-ci contre l’Espagne, qui se
prépare ?... demande M. Abraham au marquis tout en le rasant.
    — Sa
Majesté a raison ! Philippe IV, avant de mourir à Madrid, a confié la régence à sa femme et,
par testament, éliminé sa fille de la succession. Or si dans le traité des
Pyrénées, qui a établi les clauses du mariage entre le roi de France et la
cadette du roi d’Espagne, il avait été effectivement précisé que Marie-Thérèse
était tenue de renoncer à la succession de Philippe IV, en contrepartie celui-ci s’engageait
à verser en trois termes une dot de cinq cent mille écus d’or... Si la dot
n’était pas payée, la renonciation devenait caduque. C’était un fait stipulé.
L’Espagne n’a jamais été en mesure de s’acquitter de la somme considérable
promise. En conséquence Louis réclame maintenant pour son épouse sa part de
succession. Au nom du droit de dévolution, la France revendique la Flandre
espagnole. Un ultimatum rédigé vient d’être refusé par la veuve de Philippe IV. Elle ne veut rien céder,
pas même un hameau des Pays-Bas. Cette réponse ne tient pas compte de la
réalité de la situation. Les forces sont infiniment favorables au roi de
France. En revanche, on s’attend à de nombreux soulèvements vers la frontière
des Pyrénées...
    — Est-ce
encore une guerre à laquelle vous allez participer ?
    — J’aimerais
bien..., soupire le grand Louis-Henri en se levant et s’aspergeant de son
parfum : réglisse et fleur d’oranger. J’aimerais bien... D’autant plus

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