Le Monstespan
que
je comprends Sa Majesté. Comme mari il s’oppose à cette usurpation. Il a
raison ! On ne peut pas tout accepter non plus. Il y a des choses qui ne
se font pas.
Athénaïs
arrive dans le dos de Louis-Henri et lui renifle la nuque en baissant les
paupières :
— Tu sens
bon. Cette odeur, je la reconnaîtrais partout. Même très vieille et aveugle après
que tu m’auras abandonnée dans un hospice, si tu entrais, je saurais que c’est
toi.
Il se
retourne, elle l’embrasse :
— Ne va
pas à la guerre. Si les choses s’arrangent comme je l’espère, je t’assure que
par mon entremise je saurai faire oublier à Sa Majesté les frasques de ton
oncle et que tu auras aussi ta place à la cour. Laisse-moi agir cette fois-ci.
— Non,
Athénaïs, je dois être remarqué par le roi sur des champs de bataille ! Ne
pas être vu par lui revient tout bonnement à ne pas exister. Lorsqu’il déclare
de quelqu’un : « Je ne le connais pas. C’est un homme que je ne vois
jamais », cela veut dire qu’il n’est rien. Le sourire du monarque est la
vie, son silence : la mort... Mais quand on passe son temps à déshabiller
saint Pierre pour habiller saint Paul, où trouver encore de l’argent pour une
compagnie de quatre-vingt-quatre maîtres bien montés outre les équipages des
valets, trente chevaux et mulets ?...
La marquise
porte autour du cou son collier d’émeraudes qu’elle défait :
— Vends
ma parure. Un prêteur sur gages de la rue des Anglais m’a dit qu’elle valait
quinze cents livres. Tu pourras déjà équiper quelques soldats.
— Mais,
et toi ? Tu vas à Saint-Germain-en-Laye...
— Eh
bien ? J’irai, gorge nue.
— C’est
beau, l’amour..., constate Constance Abraham.
Marie-Christine,
face à sa mère, enlace les genoux de celle-ci avec ses bras. L’arrière de la
robe rose pâle, étirée par l’enfant, accentue l’arrondi du cul de la marquise,
la finesse de sa taille, le dessin de ses cuisses... On la croirait nue. Les
apprentis penchés à la mezzanine en restent bouche bée. A la verticale, ils la
voient ensuite s’écrier : « Salut la compagnie ! Je ne
reviendrai sans doute que dans quelques jours. La duchesse de Montausier
m’hébergera au château et me prêtera des tenues. Je file. Je ne voudrais quand
même pas manquer le carrosse collectif pour Saint-Germain ! Monsieur de
Montespan, je te confie nos enfants. Quant à toi, petite fille, rooh... Oh, oh,
oh !... Gru-gru-gru ! »
Marie-Christine
s’enfuit en courant. Sa mère se retourne et hisse, haut, les mains au ciel. Les
seins en s’élevant font déborder leurs pointes du décolleté de la robe. C’est
trop. Les apprentis, par paires, s’attrapent par-derrière, avec frénésie, au
bord de la rambarde. Ils tirent la langue comme des dingues . Joseph
Abraham, qui s’en aperçoit, saisit une badine et monte à la mezzanineen
donnant des coupssur les marches :
— Mais ce
n’est pas possible, vous êtes des chiens en rut !
11.
La domestique
des Montespan — Dorothée, onze ans maintenant, déjà un peu voûtée et
timide – verse surles doigts de Louis-Henri de l’eau aromatisée à
la feuille d’eucalyptus. Le marquis s’essuie lesmains à la nappe de la
table de jeu puis porte une cuillère d’étain à ses lèvres, Mme Larivière,
debout près de lui et mains surles hanches, lui demande :
— Que
vous semble du goût de cettesoupe ? Sentez-vous le citron dont on
a mis le jus avec des jaunes d’œuf dans du verjus ?
— Oui,
c’est très bon.
— Vous
aurez ensuite une salade de pousses de houblon et, pour le dessert, des poires
« vilaines d’Anjou » . J’ai empli un pot de vin de Cahors,
— Merci
madame Larivière,
Montespan,
tout en déjeunant, lit la page des affaires étrangères du Mercure Galant posé
près de son assiette lorsque s’ouvre la porte dusalon. Un rayon de
lumière y entre. Il lève les yeux, son visage s’éclaire :
— Rinçure
de bouteille, où étais-tu depuis plus de dix jours ?
— Non
mais, comment il parle, celui-là, à une dame d’honneur de la reine de France ?
— Non ? !...
Le marquis
bondit de sa chaise et ouvre des bras où se jette sa femme. Leur fille, assise
près de la cheminée, court vers les jambes de sa mère. La collision des trois
corps dégage une poussière d’or dans le rayon de soleil provenant de la
fenêtre. Cette pluie d’étoiles s’abat ensuite, lentement, sur
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