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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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à l’oreille de sa
maîtresse. Elle lui dit qu’elle est une menteuse, une friponne, une coquine,
une pute à chien.
    — Quittez
cette maison ! s’exclame l’autre.
    Les deux employées
referment la porte derrière elles. Les larmes viennent aux yeux du marquis et
ses larmes parlent pour lui bien mieux que tout ce qu’il peut dire :
    — Mon
Dieu, que ton ventre me pèse ! Et que tu n’es pas la seule qu’il fait
étouffer, soupire-t-il en contemplant la dame d’honneur enceinte
(« blessée dans le service »).
    — On ne
laisse pas son épouse aux fêtes et dangers de la cour, Louis-Henri, et il est
impossible de se soustraire aux pressantes avances du roi, murmure Amenais.
    — Il ne
peut obtenir ce que tu ne consens pas à lui céder.
    — Aux
désirs de ce roi, nul ne se dérobe. Et il exige des femmes une soumission
immédiate. Un refus aurait eu des conséquences irrévocables pour moi, pour toi,
pour les enfants. Nos familles entières auraient été chassées de France...
    Les cornes
poussent à la tête du marquis. Deuil de deuils, malheur de malheurs, tout ce
triomphe enseveli, démence !
    — Je n’ai
jamais senti une douleur si vive que celle que je sens aujourd’hui, ma chère.
    Cela lui donne
tant de souffrance qu’il se voudrait empoisonner avec le vif-argent de son
miroir.
    — Et il
n’y a rien au monde que je refuserais pour me venger.
    — Que
vas-tu faire, Louis-Henri ?
    Il lui dit une
réponse d’oracle, que les hommes font d’ordinaire dans les commencements :
    — Je t’aimerai
toute ma vie.
    Il s’approche
de la blonde, pose les paumes sur la mousseline de soie verte de ses épaules
mais celle-ci lui écarte les bras :
    — Je n’ai
plus le droit d’appartenir à un autre homme, fût-ce à mon mari. Et puis chasse
la cuisinière ! Son arrogance et sa mauvaise humeur envers moi sont
insupportables et sa figure parfaitement déplaisante. Elle ressemble comme deux
gouttes d’eau à un cul. Elle est toute bistournée, avec cela une tête qui
branle sans cesse dès qu’elle m’aperçoit. Voilà le beau cadeau que la vieille
ordure nous fait. Elle...
    Le marquis,
pleine paume, assène à la joue gauche de sa femme une gifle si énorme qu’elle
en gardera sur sa peau blanche, la marque pendant au moins trois mois.

 
17.
     
     
    Dans l’hôtel
particulier desMontausier, toutes les femmes sont coiffées à la
hurluberlu. Elles portent aussi une robe « innocente » et, sur la
joue gauche, la marque étoilée de cinq doigts. Ce maquillage couvre la peau
dans des teintes mauves et bleues. Louis-Henri n’en revient pas. Découvrant
l’ample mousseline au ventre des dames de condition, il se demande si le roi
les a toutes engrossées également.
    Lui, des
semaines sans dormir, a perdu son visage d’homme heureux en ménage. Il a
maintenant une figure de chat écorché, des yeux rouges. La perruque de travers,
il déboule comme une furie, l’injure et l’outrance à la gueule, dans le cercle
de jeu au premier étage. Il crie que le roi est un second David, un voleur, un
vil séducteur ! Il dit rage et toutes les insolences imaginables contre Sa
Majesté. Du billard à la table de trou-madame, il terrorise les courtisans qui
le fuient de crainte de voir leur position à la cour compromise parce qu’ils
ont écouté les imprécations du marquis.
    Ils étaient
dans la joie et l’abondance. Ils faisaient bonne chère et jouaient gros
(l’argent roule ici), et puis soudain Montespan gâche tout. Il déclenche un
tapage épouvantable. Il flétrit et juge indigne l’attitude d’un monarque qui,
pour son bon plaisir, foule aux pieds les principes de la famille, de l’amour !
Ses tirades ennuient et plongent dans l’embarras, et quand les gens ne baillent
pas, ils raillent ce mari qui a le mauvais goût de se plaindre que le roi
séduise sa femme :
    — Le
bruit est pour le fat, la plainte est pour le sot. L’honnête homme trompé par
le roi s’éloigne et ne dit mot.
    Mais l’autre
poursuit ses critiques véhémentes, déverse imprudemment moult imprécations
bibliques sur l’auguste tête du souverain. Une dame lui dit : « Vous
êtes fou, il ne faut pas faire tous ces contes. » Aveuglé par la rage, il
n’accorde pas la moindre importance à cette mise en garde. Il jette des yeux
partout, cherche quelqu’un, aperçoit enfin la vieille duchesse Julie de
Montausier.
    Assise sur une
chaise percée garnie de son bassin en étain, elle chie

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