Le Monstespan
soldats
martèlent ensuite, derrière lui et du talon, le refrain :
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
Ce miquelet,
maréchal des logis — Cartet –, est un brutal épais friand de la
lame. Il porte des moustaches comme des gardesde poignard , retroussées
en croc avec un fer à friser, et chante, ouvrant grand sa gueule aux dents
noires ou explosées :
— La
caill’, la tourterelle et la jolie perdrix, La caill’, la tourterelle et la
jolie perdrix, Et ma jolie colombe qui chante jour et nuit.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
Dans le
refrain clamé en chœur, on reconnaît tous les accents de France car les enrôlés
proviennent de beaucoup de régions du royaume. Ils suivent Cartet, qui les
emmène au pas vers la Catalogne, en l’écoutant :
— Et
ma jolie colombe qui chante jour et nuit, Et ma jolie colombe qui chante jour
et nuit, Qui chante pour les filles qui n’ont pas de mari.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
— Qui
chante pour les filles qui n’ont pas de mari, Qui chante pour les filles qui
n’ont pas de mari, Pour moi ne chante guère car j’en ai un joli.
Montespan, à
cheval, sourit en découvrant le maréchal des logis à gueule d’éventreur évoquer
son joli mari.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
— Pour
moi ne chante guère car j’en ai un joli, Pour moi ne chante guère car j’en ai
un joli, Dites-nous donc, la belle, où donc est vot’mari ?
Louis-Henri
regarde ailleurs et songe à Athénaïs pour qui il a signé, avant de quitter
Paris, une « procuration générale avec pouvoir de puissance à l’effet de
gouverner tous leurs biens communs pendant son absence » car il a toute
confiance en elle.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
— Dites-nous
donc, la belle, où donc est vot’mari ? Dites-nous donc, la belle, où donc
est vot’mari ? Il est dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris.
Le marquis se surprend
à fredonner aussi :
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
Beau cavalier
pâle sous la bannière du duc de Noailles, le mari amoureux chevauche près du
convoi. Dans les fontes de sa monture, il a glissé des bas de sa belle.
Parfois, il les prend et les hume.
La route
grimpe sur des premières collines. Les prés remontent vers un village sans coqs
ni enclumes où les habitants se sont barricadés. Pas un nuage, pas un souffle,
rien qui plisse. Des guêpes, çà et là, volent, jaune et noir.
Le voyage est
long et le chant de marche aussi. Heureusement car ça fait passer le temps.
Partis fin janvier, ils ne seront pas à destination avant début mars pour
combattre les Angelets de la guérilla espagnole. Des paysans à l’horizon dans
les champs, les apercevant, s’éloignent.
— Il
est dans la Hollande, les Hollandais l’ont pris, Il est dans la Hollande, les
Hollandais l’ont pris, Que donneriez-vous, belle, Pour revoir vot’mari ?
La troupe est
suivie par une cohorte de voitures de service alourdies de malles et tractées
par des mulets. Montespan, casaque bleue et plumes au ciel, tire sur les rênes,
se laisse dépasser par ses miquelets, en habit de drap rouge, dont beaucoup se
feront tuer. « Mourir c’est dormir, a dit Shakespeare. Si ce n’est que
ça... »,se débarrasse le marquis, arrivant à la hauteur d’un
chariot bâché. Il soulève la toile grise.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
— Que
donneriez-vous, belle, Pour revoir vot’mari ? Que donneriez-vous, belle,
Pour revoir vot’mari ? Je donnerais Versailles, Paris et Saint-Denis.
Sous la bâche
et à l’abri de la lumière, la petite Marie-Christine dort allongée sur des sacs
de poudre explosive, de viande séchée, de sel, et entre des chandelles
rassemblées en boisseaux, des bonbonnes de vinaigre. Louis-Henri, en faisant un
détour par Bonnefont, laissera sa fille à Chrestienne de Zamet.
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
— Je
donnerais
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