Le Monstespan
Versailles, Paris et Saint-Denis, Je donnerais Versailles, Paris et
Saint-Denis, Les tours de Notre-Dame et l’clocher d’mon pays.
L’enfant, en
rêvant peut-être de sa mère, remue les lèvres. Parfois, on dirait qu’elle
murmure également :
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon, fait bon, fait bon,
Auprès de
ma blonde
Qu’il fait
bon dormir.
15.
Oh, mais l’air
est tout plein d’une odeur de bataille ! Devant Puigcerdá les crachats rouges
de la mitraille sifflent par le ciel bleu. Des blessures éclatent dans les
chairs. Et l’air meurtrier aux tortures qui rient est atrocement houleux.
Le maréchal
des logis Cartet avance à plat ventre, sur les coudes, et rejoint Montespan à
l’abri derrière un rocher près d’une monture :
— Capitaine,
un postillon militaire vient d’apporter des nouvelles. La campagne du roi en
Flandre est une balade de santé. Turenne est en train de souffler lestement la
région à la régente d’Espagne. Là-bas, c’est un voyage triomphal. Les villes
tombent comme des châteaux de cartes. Dans chaque cité prise, Sa Majesté donne
un bal masqué et paré. Les belles Flamandes viennent visiter cette cour qui
fait des conquêtes en chantant et dansant.
— Eh
bien, bougresse de pute, ce n’est pas pareil dans les Pyrénées !...
Autour de
Louis-Henri, ce sont des scènes lyriques accompagnées de flûtes et de tambours
sur une terre pentue, chaude de soleil et rouge de sang. Les boulets déferlent
dans des cliquetis de couleurs. Un plomb cruel brille dans sa course, siffle et
fend les airs. Cartet baisse la tête et poursuit :
— Sa
Majesté s’amuse à prendre la Flandre dans son carrosse royal. Assis face à la
reine, il a à sa droite la favorite Louise de La Vallière et à sa gauche votre
épouse...
— Ah, ma
femme est là-bas ? Je ne savais pas. Bon, allez, maréchal des logis !
On ne va pas prendre racine ici sur ce flanc de montagne.
Le marquis,
mousquet au poing, saute sur sa monture et s’élance à découvert. Hardiesse,
désespoir, sa grandeur pathétique... Il reçoit dix ou douze blessures aux bras,
aux épaules, aux jambes. Néanmoins iltient, mais son cheval touché
meurt entre ses jambes. Étant à nouveau à terre, sans monture et grandement
affaibli du sang qu’il perd par ses plaies, il songe à cette guerre aux
frontières pyrénéennes – une larmoyable histoire qu’il mène depuis
presque six mois.
Cette partie
de la Catalogne, attribuée à la Couronne de France par le traité des Pyrénées
en 1659, doit maintenant payer plus d’impôts que lorsqu’elle était espagnole,
dont la gabelle qui irrite la population. Cela provoque des soulèvements. Les
paysans convoquent au son du tocsin les Angelets, financés par l’Espagne, qui
mènent la guérilla, pas des batailles selon les règles. Les soldats français,
mal préparés à cette lutte d’embuscade au cœur d’une région hostile et à la
nature fortement sauvage, sont décimés. Le marquis a perdu beaucoup de ses
chevau-légers. Les autres furent contraints de s’enfuir et Montespan, en sang,
maintenant délire. Il voit sa femme partout. C’est elle, là-bas, derrière les
rosiers. La compagnie, au capitaine atteint, bat en retraite. Le marquis sent
marcher sur lui d’atroces solitudes. Il roule aux blessures parmi tous ceux
dont le dos brûle mais Cartet, hilare et à genoux, l’ enlacede ses gros bras :
— Capitaine,
capitaine, restez en vie ! L’Espagne et la France vont signer un traité de
paix à Aix-la-Chapelle. Louis renonce à la gabelle en Roussillon...
Louis-Henri
regarde le visage du maréchal des logis qu’il confond avec celui de sa femme :
— Tu fais
voir maintenant de drôles d’os quand tu souris, Athénaïs !... Les entiers
ne sont guère blancs et les autres, des fragments noirs. Dans la gencive, ils
ne tiennent qu’à peine. La toux pourrait les mettre à tes pieds, déchaussés et
sanglants. Ah, ne te mêle donc plus du métier de rieuse, ma belle, dit-il à un
Cartet étonné. Ces chicots, cache-les, chérie, et fréquente les convois
funéraires, deviens pleureuse.
Le maréchal
des logis annonce aussi que le postillon militaire a donné une lettre de
Louvois pour le marquis. Cartet lit la missive :
— Monsieur
de Montespan, ayant considéré que votre présence n’est plus nécessaire au
service de Sa Majesté aux lieux où vous êtes, je vous fais cette lettre pour
vous dire que le roi trouve
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