Le Monstespan
il perçoit derrière, selon qu’elle se penche en avant ou se recule
contre le dossier, la nuque blonde de son épouse et parfois le profil du
visage. Souvent les acteurs se tournent avec déférence vers le monarque. A
d’autres moments, ils apostrophent Montespan dans le public :
— Les
coups de bâton d’un dieu font honneur à qui les endure.
— Ma
foi ! Monsieur le dieu, je suis votre valet mais je me serais bien passé
de votre courtoisie...
La foule rit
autour dumarquis. Les aristocrates le bousculent. De coups d’épaule en
coups de hanche, peu à peu, ils le déplacent jusqu’au centre de la salle, pile
sous l’énorme lustre à chandelles enflammées duplafond. C’est la
première fois que Louis-Henri va au théâtre . Il ne sait pas qu’il est
maintenant à l’endroit exact qu’il faut éviterau parterre – sous
le lustre aux nombreuses bougies qui gouttent abondamment en fin de
représentation. Après un prologue et deux actes, c’estle troisième et
dernier . La cire déborde descoupelles, pleut sur l’épaisse
perruque dumarquis mais lui ne s’en aperçoit pas car il est tout au
spectacle . Il écoutela consolation plaisante à l’époux trompésur scène :
JUPITER
Un partage
avec Jupiter
N’a rien du
tout qui déshonore ;
Et sans
doute il ne peut être que glorieux
De se voir
le rival du souverain desdieux,
Montespan
saisit les transparentes allusions à sa situation en cette époque où leplaisir d’en haut estla seule loi. Ce qu’il pense de la pièce ? Quec’est une pièce-flagornerie, une pièce de courtisan, Molière s’est rangé du
côté du roi (il a bien fait de se réserver un rôle de valet !). Et Jupiter
essaie de convaincreAmphitryon qu’il ne doit garder nulle amertume et
se regarder, au contraire, comme le plus heureux des hommes car il aura
beaucoup ày gagner :
JUPITER
L’éclat
d’une fortune en mille biens féconde
Fera
connaître à tous que je suis ton support,
Et je
mettrai tout le monde
Au point
d’envier ton sort.
Ces propos ne
sont pas de nature à apaiser Amphitryon qui fait des mines dépitées et
cocasses. Molière a trouvé dans le mythe de la naissance d’Hercule l’occasion
de ridiculiser Montespan pour amuser le public. C’est une pièce à machines avec
des trappes, des poulies, un treuil, du spectaculaire pour la plus grande joie
des spectateurs et Jupiter, sur son nuage, s’élève dans les airs et un bruit de
tonnerre. Plein d’éclairs, il disparaît, enfumé aussi, aux nues sous les
applaudissements. La cire pleut toujours à la perruque du marquis. Elle
ruisselle dans les boucles qu’elle durcit et blanchit On dirait une congère
chaude qui se fige, alourdit le postiche, pendant que Molière, en Sosie, semble
directement s’adresser au Gascon en lui rappelant que sa mésaventure est dans
l’ordre des choses mais que :
Le seigneur Jupiter saitdorer la pilule.
En bord de
scène, derrière la rangée dechandelles dont la lumière devient
insuffisante, l’auteur larbin conclut la pièce :
SOSIE
Tout cela
va le mieux du monde ;
Maisenfin
coupons aux discours,
Et que
chacun chez soi doucement se retire.
Sur telles
affaires, toujours
Le meilleur
est de ne rien dire.
Louis-Henri
entend dans ces derniers mots un ordre adressé au commun des mortels :
qu’il ne se mêle pas de juger Jupiter ! Qu’il s’abstienne de tout
commentaire ! « Sur telles affaires, a conclu Sosie, toujours le
meilleur est de ne rien dire. » La consigne s’impose non seulement pour
l’importun mari mais pour les bavards. Point de murmures : « Coupons
aux discours, a dit encore Molière, et que chacun chez soi doucement se
retire. » Mme de Sceaux et Mme de La Trémoille, après une orgie de curry à
midi, sont maintenant prises d’une envie pressante dans leur loge. Elles se
soulagent au creux des mains puis jettent leurs déjections vers Louis-Henri, en
bas au parterre. Sur les épaules du marquis, maintenant, ça sent la merde et le
curry. Il remarque, étonné, des coulures de chiasse rouler le long des manches
de son justaucorps. Il lève les yeux au plafond et reçoit sur le visage la
pluie de cire brûlante tombée du lustre. Tout le monde s’est reculé en cercle
autour de lui. Il est comme un champignon au centre d’une clairière. Il
découvre des stalactites blanches pendant aux bords de la perruque de chaque
côté de sa figure. Il aura vraiment
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