Le Monstespan
deuxième,
elle a enterré le cordon sous un rosier afin de doter l’enfant d’une peau
claire.
Le visage
ruisselant de larmes, il poursuit :
— Françoise
était certaine que si le mariage avait lieu le jeudi, le marié serait coc...
Les
aristocrates autour de lui s’amusent de le voir ne pas oser dire tout le mot.
— Elle
lit souvent un manuel de démonologie : Le Marteau des sorcières. Elle
pense que lorsqu’une femme veut se faire aimer, elle doit utiliser un philtre
composé d’eau bénite, de vin et de poudre d’os d’un mort tiré d’une fosse
récente. Souvent, avant de partir à la cour, elle allait en chercher chez des
devins, des mages, en leurs échoppes secrètes des quartiers populaires de la
capitale, et surtout chez la Voisin, rue Beauregard...
— Qui
ça ? Où ça ? La Voisin ?...
Les
courtisanes s’éloignent en se demandant les unes, les autres : « Vous
savez où c’est, vous, la rue Beauregard ? » La princesse de Monaco,
réputée pour ne pas être avare de ses faveurs et qui connaît l’emplacement de
la rue, parle gaiement du sexe du roi de France. Elle dit que contrairement à
Charles d’Angleterre, sa puissance est grande mais son sceptre tout petit et
que c’est pour cela qu’au palais la sodomie, surtout, a triomphé. Sa voisine,
comtesse, réfléchit et doit bien le reconnaître :
— C’est
vrai qu’à Versailles, on se fait beaucoup enculer...
Montespan, dépité,
les regarde retourner vers les tables de jeu. À la bouche des émanations
d’eau-de-vie de fenouil dont il a abusé toute la nuit, Louis-Henri remarque
Lauzun resté à ses côtés :
— Vous
êtes souvent près de moi...
— C’est-à-dire
que, capitaine des gardes du roi, je suis aussi un peu chargé de vous
surveiller.
Lauzun est un
petit homme blondasse, sans agrément dans le visage. Chagrin, solitaire,
sauvage, et l’air malin par nature, on sent qu’il peut être quelquefois bon ami
quoique ce doive être rare. Il a le bout du nez pointu et rouge, des cheveux
ternes, mais il flotte autour de lui comme un parfum de sensualité secrète. Le
Gascon soupire :
— Ma
femme est entrée dans un mauvais rêve. Pouvez-vous m’aider à la ramener au vrai ?
— Tout le
temps que le roi voudra d’elle, il ne vous la rendra pas mais cela durera
combien de temps ? En général, la maîtresse en titre lui présente la
nouvelle. Mme Henriette lui a présenté La Vallière. La Vallière a fait danser
votre femme devant le roi. La Montespan présentera à Sa Majesté celle qui lui
succédera. Pour vous, la pilule est dure à avaler mais si elle est bien dorée,
sans doute qu’elle passera mieux.
— Que
peut-elle leur trouver à ces gens et que fait-elle là-bas ?
— Le
soir, quand... « Jupiter »retourne dormir avec son épouse, la
favorite confectionne, pour l’enfant qu’elle porte, des petits carrosses en
filigrane de fer auxquels elle attelle six souris et s’en laisse mordre ses
jolis doigts sans crier.
20.
Montespan
flâne le long de la Seine sillonnée par des barques chargées de fourrage, de
graines, de sable. Le fleuve est pollué par les matières fécales, des ordures
de toutes sortes. La Seine traîne dans Paris son cours de vieux serpent malade
emportant vers ses havres des cargaisons de bois et des cadavres.
Des petits
garçons, après des cerceaux de tonneaux rouillés, courent en culotte qui
descend sous les genoux. Les filles, habillées d’une cotte de grosse étoffe
froncée à la taille, vont les pieds nus à même la terre et les débris de verre.
Les gueux, les harengères chantent pouilles aux honnêtes gens, disent de
vilaines injures que Louis-Henri n’écoute pas. L’injure des hommes, maintenant,
qu’est-ce que ça lui fait à ce hobereau que la noblesse fuit et
abandonne ? Tout à l’heure, il a vendu au Pont-au-Change sa belle montre à
gousset. Peu lui importe dorénavant l’heure et l’année. Le temps n’a plus
d’importance. À vingt-sept ans, sa vie est finie. Un marchand de mort-aux-rats
crie :
Un soldat
qui aux combats
Faisait
trembler toute la terre,
Par
infortune de guerre
Va
criant : « La mort aux rats ! »
L’ambulant se
promène portant au côté sa boîte à poisons. Le pourpoint troué, une jambe de
bois et une fraise démodée, le rendent ridicule et grotesque. Le marquis se
reconnaît en cet infirme qui tient sur l’épaule une longue perche ornée de
trophées –
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