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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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des rats crevés. Montespan qui n’avait jamais été attentif aux
choses de la rue, maintenant, scrute tout : les revendeurs de vinaigre
gueulant « Vinaigre qui est bon et bien. Vinaigre de moutarde y
a ! », les musiciens, chaussés de socques en bois, qui soufflent dans
un flageolet et frappent un tambourin. Ici, on propose des peignes de Limoges,
des glaces, des poires à poudre, des lancettes à saigner forgées à Toulouse.
Celle-là offre dans son panier d’osier des paquets d’allumettes serrées  –
brins de roseau imprégnés de matière inflammable. Trois artisans sous un auvent
cousent des chaussures au-dessus d’un établi couvert de peaux et d’outils. Ils
ont un tablier de cuir et leurs genoux servent d’étau. Louis-Henri déambule
dans cet endroit où tous ces humbles se produisent avec leur attirail, leur
verve, une volonté de vivre que lui n’a plus. Le marquis tourne, s’enfonce dans
un dédale nauséabond de venelles où les criminels font la loi jour et nuit.
    L’ absence de fondations
entraîne des mouvements de terrain qui gauchissent la structure des hautes
maisons étroites et fissure les façades. Les ruelles tortueuses  – souvent
des chemins de terre  – sont pleines de recoins et la lumière du jour
entre peu dans les logements. Là aussi, les bousculades, la vie intense, les
conflits entre marchands et les jurons, les coups, les larcins, les ordures
jetées des fenêtres, l’embouteillage et les cris des cochers, les mules et des
charrettes tirées à bras. Il règne ici une épidémie de variole. Pour s’en
protéger, beaucoup ne respirent plus qu’à travers des éponges trempées de sauge
et de genièvre mais Montespan va, les mains dans les poches. Qu’est-ce que ça
peut lui faire la variole ?... Ilpleut. Les rues deviennent
aussitôt un cloaque de boue. Une catin maigre qui s’usait en courses libertines
se met à l’abri sous un porche près de la vitrine d’un cabaret-bordel. À
Louis-Henri qui l’examine sous l’ondée, elle coule un drôle de regard.
    Une curieuse
idée arrive à la tête du marquis. Il voudrait finalement aller rigoler avec
cette crevette ou grue ou biche qui porte des Suivez-moi monseigneur si
longs. Il s’approche. Elle le contourne en riant de sa bouche édentée :
    — Quel
justaucorps incendié dans le dos !... Un dragon t’a-t-il fait l’amour
par-derrière ? Et c’est quoi ce blanc agglutiné à ta perruque ? Il
t’a éjaculé sur le crâne ? Et l’odeur... Ah, mais il t’a aussi chié sur
les épaules !...
    Devant l’air
du Gascon, la prostituée, qui connaît les clients, devine :
    — Alors,
on a un gros chagrin d’amour...
    — Donne-moi
la syphilis, la vérole, j’irai ensuite violer ma femme pour qu’elle gâte le roi
à son tour.
    Une autre
putain, à côté, demande :
    — Qu’est-ce
qu’il dit ?
    — Mais
rien, il est saoul.
    La porte du
bordel en s’ouvrant vomit un flot d’effluves de spermes éteints et de règles
mortes.

 
21.
     
     
    Ce claque a
mauvaise réputation. Ses vins proviennent de vignes fumées avec les boues et
vidanges urbaines. Louis-Henri y engloutit des nectars pleins de colle de
poisson, de fientes de pigeon, et les filles n’y sont pas propres. C’est ce qui
plaît au marquis.
    Les catins
 – bêtes-poupées, chiffons occupés  – sont envahies de maladies
vénériennes où Montespan se vautre. Il lèche leurs boutons, pustules, leurs
plaies suppurantes, partout où ça suinte en des endroits intimes et réclame :
    — Je veux
des crétes-de-coq, une bonne bléno et le mal français ! Des
contagions, donnez-m’en des mutilantes magnifiques car j’en connais un que je
voudrais voir fadé, céphalé, délabré de partout. Personne n’a la peste,
ici ?... ni la rage ? !
    Le Gascon
reste là, des nuits et des jours. D’une pleine lune à la suivante, il ne quitte
plus l’établissement. Une fille s’en étonne :
    — Mais
vous n’avez pas une femme, des enfants ?
    — Ma
femme... Mon fils est chez mon propriétaire. Allez, viens là, toi.
    Il paie au fur
et à mesure, le vin frelaté servi à l’assiette et les passes, avec l’argent de
sa montre. Vingt-neuf jours et nuits dans des femmes différentes. L’une rousse,
mal grasse et prestance molle, ne lui adresse guère qu’une parole et c’est d’un
petit cadeau qu’il s’agit. L’autre, flétrie comme un pruneau, sans cesse
croasse dans son accent d’ail. Une, récemment

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