Le Monstespan
rêve si joyeux que la lèvre
mi-close de Marie-Christine, souriante, semble murmurer quelque chose :
« Maman, te voilà !... » Louis-Henri quitte la chambre de
l’enfant. Il ne peut pas lui non plus chasser l’image de Françoise qui prend
dans sa vie toute la place. C’est une absence effrayante comme pour sa fille.
« Elle reviendra quand ? », question obsédante. Le long de la
galerie éclaboussée par les lueurs de sa chandelle, la lumière se réfléchit
dans les miroirs, en fait une poétique. Louis-Henri chapeaute la flamme d’un
éteignoir en cône qui la fait mourir. Le chêne de ses forêts brûle dans l’immense
cheminée de sa chambre. Il jette une bûche sur les braises et ravive le feu.
Son lit est garni d’un châlit, et de trois matelas de futaine. Il se glisse
sous le traversin plein de duvet. Dehors, des rats poursuivis par des hiboux
filent au fond des eaux vertes des douves dans des froissements de feuilles.
Les flammes de la cheminée rappellent la riche chevelure de Françoise. Le
marquis mord les dentelles de son oreiller.
34.
La foule pénètre
dans l’église de Bonnefont, se couvre d’eau sainte. Une clochette tinte et le
clergé s’agenouille devant l’autel.
— Le
Seigneur dit...
Face à un
cercueil ouvert posé sur des tréteaux, le prêtre Destival, à plus de
quatre-vingts ans, peine à ouïr et à parler en raison de son grand âge. Pater et Ave prononcés en latin, Je crois en Dieu dit en
français... effroyablement doux, il bave la foi de sa bouche édentée. Au nom
du père, du fils et du Saint-Esprit, il dit de ce qui se trouve dans le
cercueil ouvert qu’il est mort bon chrétien et catholique.
Louis-Antoine
jette des yeux partout dans l’église :
— Qui est
mort ?
Sous son
bonnet, le petit marquis d’Antin a le profil fier. Ses cheveux jaillissent en
mèches bouclées. Ses narines mobiles ressemblent à celles de sa mère. Mais qui
est mort ? Ce n’est pas sa grand-mère – cette grande femme dévote le
décoiffe. Alors qui est mort ? se demande le petit. Pas sa sœur aux
sourcils fort épais. Il la voit, près de Dorothée, avec une coiffe à double
carillon qu’elle tourne entre ses doigts en pleurnichant. Louis-Antoine ne
comprend pas pourquoi. Quand il lui demande, elle éclate en larmes. Son père
n’est pas décédé – il est là, devant, le marquis campagnard qui vit
chichement sur ses terres et fier de son banc à l’église. En habit complet de
grand deuil et bas de soie noire, il a remplacé les boucles fantaisie de ses
souliers par de simples boucles de fer. Mme Larivière n’a pas cassé sa
pipe : elle chante près de Cartet qui grommelle en observant le dos de Montespan :
« Cette pute le fera mourir. » Mais de qui parle-t-il ? La mère
de Louis-Antoine doit être encore en vie sinon on le lui aurait dit et puis, ce
matin, avant la cérémonie tout le monde évoquait le prénom de Françoise au
présent, donc ce n’est pas elle. Mais alors qui a trépassé ? Un croquant
aquitain ? Non, il n’y aurait pas tant de monde en grande tenue. Aux flots
d’encens, une langueur envahit les sens. C’est ensuite l’invocation sous la
croix. Le vieux curé de dos tend ses lèvres vers les pieds cloués du Christ et,
les ayant baisés pour voir le Paradis, il se retourne en ouvrant les bras. Des
gentilshommes en livrée officielle, portant un lourd cierge gravé aux armes de
Montespan (cornes ajoutées), s’approchent du cercueil. À tour de rôle, ils se
passent un goupillon qu’ils remuent au-dessus de la caisse ouverte avec à la
bouche un demi-sourire que Louis-Antoine remarque. Ce doit être son père qui
les a invités. Il se souvient de l’avoir entendu déclarer qu’il faudra envoyer
un billet d’enterrement aux seigneurs de la région.
Maintenant
Montespan fait signe à ses enfants de le suivre par l’allée centrale.
Marie-Christine, la première, sur la pointe des pieds remue l’aspersoir
au-dessus de la bière puis le passe à son frère que Louis-Henri porte dans ses
bras pour l’aider. Le petit se penche au-dessus du cercueil :
— Eh
quoi ? Il n’y a rien dans cette boîte !
Il n’y a rien
pour lui et sans doute pour chacun dans l’église, mais pour Montespan il y a
tout. Lorsque les employés du service funéraire installent le couvercle et
s’apprêtent à le clouer, cela ne va pas sans soupirs et sans larmes du marquis
jusqu’aux cris mêlés avec des baisers et des
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