Le Monstespan
cérémonie :
— Monsieur
de Montespan, ça fait deux fois que vous me confondez ! Déjà quand vous
avez été blessé devant Puigcerdá...
— Deux
fois ? Je ne savais pas, Cartet, que vous alliez régulièrement à Naples
sans passer par les ponts !... commente la cuisinière sous les tourbillons
de neige.
Le concierge
en robe rouge rebrodée de perles et cul nu se retourne :
— Alors
là, madame Lariri. C’est un affreux malentendu !
— Mais
bien sûr, c’est ce que je vois... A la guerre comme à la guerre, hein...,
fait-elle, ressortant, fort digne.
En robe de
mariée et blessé dans son honneur de soldat, Cartet s’insurge au nom de toutes
les armées : « Je ne vous laisserai pas insinuer que... » Mais
il s’écroule dans ses perles, se débarrasse du vêtement compromettant :
— Madame
Larivière, madame Lariri !
Nu et poilu,
grosses cuisses, il marche sous les flocons auprès de la cuisinière en faisant
de grands gestes pour lui expliquer que...
36.
L’aube se lève
au-dessus de la vase des douves du château de Bonnefont. Dans la cheminée de la
chambre du marquis le feu meurt doucement. Fatigué, Montespan sort de son lit
avec un mal de tête, va vers une bassine que recouvre une fine couche de glace.
Il l’écrase du plat des doigts,et l’eau, dessous, affleure la pellicule
givrée, fait comme un miroir où le cocu contemple les cernes de ses yeux, ses
traits tirés. Il appuie davantage, la glace se brise et l’eau est vraiment
froide. Il tire sur un cordon pendant le long d’un mur qui fera sonner en bas
une clochette dans la cuisine.
Aux fenêtres
de sa chambre du deuxième étage, des imperfections visuelles dues aux
paillettes de givre qui étoilent les vitres. Un fin voile de brume plane sur
les plaines blanchies de la vallée. Des volutes s’élèvent au-dessus des fermes.
Là-bas, la haute chaîne des Pyrénées. Mme Larivière gratte la porte puis entre,
une bouilloire d’eau fumante à la main. Des filets de vapeur sortent du bec de
l’ustensile et des narines de la cuisinière, semblant fulminer intérieurement.
— Quelque
chose ne va pas, madame Larivière ? demande le marquis.
— J’ai
mal dormi. Un émissaire du roi qui vient d’arriver réclame à vous parler. Il
attend au centre de la cour en observant le château.
— Faites-le
monter et patienter dans la salle de réception, le temps de mes ablutions,
— Vous ne
le recevez pas tout de suite, préférez d’abord encore vous laver plutôt que de
vous étriller au linge sec alors que la Faculté se méfie de l’eau ?...
C’est un agent propagateur de maladies qui élargit les pores de la peau,
s’infiltre dans le corps pour le corrompre et le fragiliser !
Le marquis en
caleçon long retire sa chemise et ausculte l’épiderme de ses bras et de son
buste :
— Si je
devais être contaminé, il y a longtemps que ce serait fait...
— Le roi,
lui, ne s’est baigné qu’une fois dans sa vie. Chaque matin, son premier valet
de chambre dépose quelques gouttes d’esprit de vin sur les mains de Sa Majesté.
Son grand chambellan présente le bénitier : Louis se signe, il est lavé.
Un jour, vous prendrez des bains de mer réservés aux fous et aux enragés !
La cuisinière
claque la porte derrière elle. Le marquis sourit.
Toilette
faite, habillé de deuil, Montespan se parfume, pousse une autre porte de sa
chambre donnant sur la salle de réception où l’émissaire l’attend.
C’est un
cavalier fier. Cheveux longs frisés et moustache effilée, sous un lourd manteau
vermillon, il porte des broderies et des dentelles. Il sent l’urine et la sueur
de ceux ayant beaucoup galopé plus l’odeur du cheval. Il contemple le marquis
propre de haut en bas ;
— Vous
fatiguez la cour, monsieur, avec tout ce noir.
Et sans qu’on
lui propose, l’émissaire va s’asseoir dans le fauteuil de Louis-Henri, tend ses
talons rouges au bord de la cheminée où la cuisinière a allumé le feu.
— Marquis,
votre oncle, l’archevêque de Sens, brave trop les foudres royales en prenant
votre parti. Dans son diocèse, il dénonce l’adultère de Sa Majesté avec une
femme mariée et publie les anciens canons flétrissant cette violation de la loi
religieuse. Le roi l’a menacé d’une lettre de cachet mais le prélat riposte par
une autre menace : l’excommunication. Il veut forcer le pape à un blâme
public du roi de France. L’affaire devient d’État.
Le
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