Le Monstespan
Bonjour madame Larivière, dit-il en se relevant.
La cuisinière
à la peau d’olive s’excuse :
— Partie
de Paris, je ne savais où aller avec ma fille...
— Dorothée
est votre fille ? Décidément, je suis souvent le dernier informé, sourit
le cocu.
— Vous
devez être fatigué par le voyage et affamé. Je vais préparer le souper et
mettre la table. Viens, Dorothée.
— Laissez-la,
intervient Cartet. Regardez comme elles sont contentes de la poupée. Je vous
aiderai.
La cuisinière
aux pattes de héron et le rustique concierge du castel se dirigent ensemble
vers l’office tandis que Chrestienne de Zamet chuchote à l’oreille de son fils
en remuant horizontalement la main : « Je crois que tous les
deux... »
— Cartet
avec Mme Larivière ? Ah bon ? De mieux en mieux.
Louis-Antoine
tout en soies luxueuses, dans la cour aux pierres disjointes entre lesquelles
poussent des herbes, voit le bâtiment – une tour carrée où grimpent un
lierre et un colombier entourés de douves puantes. Il demande sans
malice :
— C’est
la maison du concierge ici, ou le château ?
Derrière, une
terrasse donne sur un parc en friche entouré par deux petits bois qui mènent à
la rivière. Quadrilatère en la nature, le château est dans sa solide rusticité,
sa simplicité, un modèle de la demeure d’un marquis pauvre. Dans la cuisine,
Cartet soulève la lourde marmite fumante d’un seul bras qu’il tend devant lui.
Mme Larivière, admirative, lui tâte le biceps et l’épaule :
— Que
vous êtes musclé, Cartet ! Moi, il me faut un rude effort pour l’accrocher
à la crémaillère.
— Vous
n’aurez qu’à me demander. Ah, capitaine ! Euh... monsieur le marquis,
c’est prêt. J’avais chassé des lièvres dans vos bois dont Mme Larivière a fait
un divin ragoût comme on n’en avait pas à Puigcerdá ! On aurait dû l’emmener
avec nous.
La cuisinière
olivâtre brunit de confusion devant le sourire complice de Chrestienne de Zamet
qui propose :
— Et si
nous soupions ensemble pour ces retrouvailles et l’anniversaire de
Marie-Christine ?
— Père,
on va partager le repas avec les domestiques ? S’étonne Louis-Antoine.
Ce ne serait
que du bonheur à table s’il ne manquait pas... Le petit marquis d’Antin certes
fait des réflexions. À l’ancien maréchal des logis, il dit :
— Tremper
ses doigts dans les sauces, c’est le propre des gens de village ; porter
ses doigts sales et gras à la bouche pour les lécher ou les essuyer à son
vêtement n’est pas convenable. Il sera plus honnête que ce soit à la nappe ou à
la serviette.
Le concierge à
gueule de tueur le regarde, interloqué, puis tranche les lièvres comme si
c’étaient des Angelots, alors que Dorothée tend son auge.
— Si
quelqu’un découpe la viande, il n’est pas honnête d’avancer ni la main ni son
assiette avant qu’on vous en propose, la gronde Louis-Antoine.
Marie-Christine
ne veut pas manger. Elle tient mal sa cuillère, elle demande trop à boire, elle
gesticule, ce qui déplaît à son frère.
La table
débarrassée, Chrestienne de Zamet, adossée contre le vaisselier, porte une
cerise confite à ses lèvres. Son petit-fils assène :
— Manger
ses cerises debout, c’est manger en laquais !
— Il
parle bien, hein, pour son âge..., commente la douce grand-mère.
— Oui,
soupire le père.
— Et il a
l’épidémie de..., d’une clarté !
Le petit,
flatté, compare sa main à celle de sa sœur :
— J’ai la
peau plus blanche que toi.
— C’est
seulement parce que ta mère a enterré ton cordon ombilical sous un
rosier ! Lui balance le père qui commence à ne plus en pouvoir.
— Et pour
moi, qu’est-ce qu’elle a fait, maman ? demande Marie-Christine, poupée
coiffée à la hurluberlu dans les bras.
— Pour
toi ?... Ah oui, après avoir coupé ton cordon, elle l’a mis en contact
avec ta tête pour t’assurer longue vie...
Maintenant, la
petite sommeille tristement dans son lit : on dirait à la voir qu’elle
pleure en dormant tant ses yeux sont gonflés et son souffle pénible. Les
petites filles ont le cœur si sensible. Oh. Que le jour de son anniversaire
aura été triste pour elle ! Et pensive, tandis que de ses grands yeux
silencieusement tombe une larme, elle murmure : « Quand donc
reviendra maman ? » Son père, l’ange des berceaux, essuie ses pleurs.
Dans le lourd sommeil de l’enfant, il chuchote un
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