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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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embrassades tels qu’on ne peut
refermer le cercueil vide auquel Louis-Henri s’accroche désespérément. Il faut
la persuasion de plusieurs seigneurs pour l’éloigner.
    Dehors, il
donne la main à ses deux enfants et, chapeau sous le bras, est suivi par une
cohorte d’amis abasourdis. Les gens marchent en silence, déconcertés par le
spectacle tragicomique de la douleur du marquis suivant un cercueil vide à
l’arrière de son carrosse cornu. Même les chevaux noirs qui tractent le
véhicule sont coiffés de cornes de cerf.
    Dans ce pays
de rocaille et de soleil l’été, où les têtes s’échauffent rapidement, où l’on
retrousse sa moustache, le peuple local prend la défense des extravagances du
marquis  – gascon à merveille. Ce cocu ne courbe pas la tête aisément. On
applaudit ses frasques que la verve des conteurs relatera. Le cercueil en grand
apparat suivi par l’assemblée paroissiale est porté en terre au sommet d’une
colline. Louis-Henri se penche par-dessus le vide tournoyant d’un gouffre.
    — Mais
enfin, qu’est-ce qu’on enterre ? demande Louis-Antoine à sa sœur
traumatisée.
    Les cloches de
Notre-Dame-des-Neiges sonnent pour le marquis le glas de son désastreux
mariage.
    — J’ai
souvent été invité à des enterrements, soupire le seigneur de Gramont aux
oreilles de celui de Biron en redescendant vers le village, mais jamais encore
je n’avais été convié d’assister aux obsèques d’un amour.
    — De quoi
est-il mort ? On parle d’un abus,
    — Je
crains que ce soit aussi d’un accès de coquetterie et d’ambition.
    Le crieur de
corps, au son d’une clochette, annonce que pendant un mois on portera le deuil
jusqu’aux rives de la Baïse.
    — Honnête
et poli, c’est le meilleur marquis qu’on puisse voir sur terre, reprend Biron.
Il n’a qu’un défaut : l’amour tenace.
    Montespan,
resté seul sur la colline, s’accroupit et plante devant la tombe une simple
croix en bois où on lit deux dates - (1663-1667) :
    — Mourir
à quatre ans, c’est jeune.
    Il se relève
dans la tramontane qui souffle au-dessus de la vallée :
    — Que le
vent t’emporte sur ta terrasse de Versailles, Françoise ; si je croyais
qu’il te pût apporter ici par un tourbillon, je tiendrais toujours mes fenêtres
ouvertes et je te recevrais, Dieu sait !
    Mais le ciel
s’assombrit. La nuit vient tôt en hiver, on entre dans le royaume du noir pour
de longues heures. L’ombre nocturne est le domaine de la peur  –
revenants, loups, maléfices, ont souvent la nuit pour complice.
    Louis-Henri
laisse son message au vent et descend vers le château, refuge des corneilles à
l’écart. Au lit, Louis-Antoine crie : « Hé, mon Dieu, où
suis-je ? » On va à lui. « Hé, je ne sais où je suis. » Il
est tout découvert, son père le recouvre. La mère de Montespan dit :
    — La
petite aussi s’est éveillée avec frayeur, elle s’est éveillée plusieurs fois...
C’est qu’elle a l’imagination touchée par la cérémonie. Elle s’est plainte à
moi de la douleur de tête et m’a dit que c’est d’avoir pleuré. La vie est dure,
brève. Elle oblige les enfants à vite se conduire en adultes, hein ?
    Louis-Henri ne
répond pas et fait le mort.

 
35.
     
     
    Le lendemain
des funérailles de son amour, Montespan voudrait croire à la résurrection.
Après tout, Françoise n’est-elle pas née d’une morte ? Le souper terminé,
encore accoudé sur la longue table en chêne de la cuisine, il joue des doigts
contre son verre tandis que chante l’eau de la bouilloire destinée à la
vaisselle. Le concierge du château, court de col et coiffé d’un chapeau de
castor paré de plumes, l’observe et conseille à la cuisinière qui récure un
chaudron :
    — Il
faudrait lui faire manger du bœuf.
    Mme Larivière
ne partage pas son avis :
    — Le bœuf
donne une solide nourriture au corps mais il engendre un sang gras et
mélancolique. Le poulet est meilleur, il restaure les natures les plus débiles.
    Cartet se
lisse les moustaches puis s’empare d’une cruche ventrue et vernissée pleine de
muscat de Frontignan dont il sert abondamment Louis-Henri :
    — Allez !
Pour garder la tête hors de l’eau, ne pas se laisser gagner par le désespoir.
Une pointe de vin réveille et réjouit toute une âme. À la guerre comme à la
guerre...
    Le marquis saisit
son verre de fougère et boit d’un trait. Le concierge fait à nouveau couler

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