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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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écrivain paralytique,
rhumatisant au dernier degré et quasi-gnome : Paul Scarron. A sa mort, ce
poète bossu et lubrique a laissé un testament : « Je lègue mes biens
à mon épouse à condition qu’elle se remarie. Ainsi il y aura tout de même un homme
qui me regrettera ! » Votre femme a présenté la gouvernante des
bâtards royaux à Sa Majesté.
    Montespan lève
la tête au plafond qu’il fixe longuement et, des ongles, se gratte
verticalement la gorge. Le cavalier qui pue s’approche de lui, glisse un doigt
sur le salpêtre du mur :
    — Les
enfants de votre femme seront mieux logés que vous. Votre château se lézarde,
les pierres se descellent, il menace ruine. Il faudrait réparer une marche que
le gel a fendue. On se croirait chez vous tout au plus dans le logis d’un
curé ! Votre situation est peu brillante, vous ne possédez que des dettes.
Vous voilà écarté des tables de lansquenet de Paris qui, si elles furent vos
marâtres, furent aussi vos nourrices. De quoi allez-vous vivre, ne possédant
que quatre cents livres de rente par an ? Vous devez aussi une petite
fortune à un laboureur qui va vous prendre une partie de vos terres. Votre
disgrâce en exilestun arrêt de mort sociale. En bas de
l’échelle nobiliaire, le mérite de votre femme contribuerait plus à votre
élévation que tout ce qu’il peut y avoir de recommandable en vous. Si vous
acceptiez de seulement vous taire et vous incliner devant la volonté royale,
plutôt que de traîner votre amertume dans cette province, vous posséderiez un
hôtel particulier dans Paris avec une trentaine de domestiques, des centaines
d’hectares de terres pour lesquelles vous percevriez des droits seigneuriaux,
des bois, des chasses !
    Montespan
laisse l’émissaire lui jouer de la flûte à huit trous nommée pipeau du
chaudronnier et va s’asseoir sur un ployant de fer et de toile. Il écoute le
chant du vent à travers les contreforts des Pyrénées comme une danse de Sardane
et la somme que l’envoyé de Versailles propose maintenant :
    — Trois
cent mille écus ! Ça veut dire neuf cent mille livres, presque le million.
Demandez-le, vous l’aurez. Quelle est votre réponse ?
    Louis-Henri
contemple les congères qui pendent du toit puis l’émissaire :
    — Je ne
sais pas ce qui me retient de vous jeter par la fenêtre.

 
37.
     

     
    — Ça fait
quand même chier de devoir tout payer avec des pièces à l’effigie de la tête de
l’amant de sa femme ! Surtout qu’il est moche, ce nain sale. Mais
qu’est-ce qu’elle lui trouve ?
    Louis-Henri
lève devant ses yeux un écu d’argent sur lequel il détaille le personnage
gravé :
    — Nez
trop long et busqué, gras du cou, ses joues sont flasques. Sa cuirasse drapée à
la romaine est ridicule. Je n’aime pas du tout sa perruque ! Paraît qu’il
aurait un charme... exotique. Ça ne me saute pas aux yeux, à moi.
    Le marquis
mord la pièce et la lance au concierge :
    — Attrapez
ça, Cartet, et faites fabriquer chez le menuisier une caisse en bois.
    — Encore
un cercueil ? Pour enterrer quoi, cette fois-ci, votre espoir ?
    — Mais
non, ce sera pour le tableau. N’oubliez pas les mesures.
    Tandis que le
concierge sort, une voix à l’accent de la région de Montlhéry intervient :
    — Reprenez
la pose, monsieur de Montespan.
    Le peintre itinérant
qui sillonne la France de château en château pour proposer aux petits seigneurs
ses talents de portraitiste, de décorateur (frises le long des murs, dessus de
porte, plafonds illustrés), rectifie la pose de son modèle :
    — Le
buste davantage tourné vers la droite, la tête de face, voilà, c’est ça. Ne
bougez plus.
    Dans le
cabinet de travail au premier étage du castel, Louis-Henri assis à son bureau,
plume de corbeau taillée de frais entre les doigts, fait mine d’écrire sur une
feuille de papier immaculée. Homme en cheveux et chemise de chanvre écru, il
n’a voulu ni recouvrir son crâne d’une perruque ni porter les rubans, plumes,
dentelles, fleurs artificielles, dont se pare généralement un marquis posant
pour la postérité. Le cocu a désiré quelque chose d’intime et contemple le
peintre comme s’il regardait amoureusement sa femme.
    L’artiste de
Montlhéry assis, jambes écartées sur un tabouret, se penche parfois pour
examiner son modèle, accentuer en silence la courbe d’une paupière alourdie de
tristesse, remonter l’ombre d’un vague sourire aux

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