Le Monstespan
Dehors, les dragons se postent autour du
mur d’enceinte du château et dans le parc pour empêcher toute sortie mais
l’intendant paraît gêné. Il grimace, demande :
— Monsieur
de Montespan, lors de la guerre de Dévolution, vous êtes-vous acoquiné avec une
jeune brunette du pays aux yeux brillants et au sang chaud que vous auriez
enlevée, travestie en soldat afin de l’introduire dans votre compagnie pour
l’avoir toujours sous la main ? La famille de la séquestrée vient de
porter plainte contre vous.
— Quoi ?
— Une
seconde affaire vous charge. On vous accuse d’avoir menacé d’attaquer un
couvent pour enlever une jolie nonne, faire une dragonnade amoureuse, quoi...
— Hein ! ?
— Sices
faits se révélaient exacts, vous risqueriez l’emprisonnement à vie au donjon de
Pignerol.
— Mais
c’est faux, totalement faux ! Ah, vertubleu ! s’indigne le marquis,
je ne m’intéresse pas à ce type de jongleries extraconjugales. Je n’ai jamais
été un de ces séducteurs surnommés « amoureux des onze mille
vierges » ! Jamais ! Moi, un mari à bonne fortune ? !
La mère
fiévreuse de Louis-Henri prend aussitôt le parti de son enfant :
— Mon
garçon est honnête, monsieur Macqueron, civil et connu pour la bonne règle de
ses mœurs !
— Madame,
un commandant posté aussi devant Puigcerdá, duc libertin que cette histoire
enchante, accable votre fils.
— L’esprit
charitable de souhaiter plaies et bosses à son prochain est extrêmement répandu
aussi dans les armées, commente Cartet.
L’intendant de
Guyenne a effectivement des doutes. Il constate dans le regard franc du marquis
une stupéfaction réelle à laquelle il s’attendait, sort de sous sa robe une
lettre cachetée de jaune (affaire judiciaire). À la couleur de la cire,
Montespan devine que la missive sent aussi le fagot d’épines. Macqueron
raconte :
— Il y a
deux mois, un envoyé spécial de Louvois m’a apporté une lettre qu’il m’a
demandé de lire devant lui. Étonné mais pressentant quelque embrouille louche,
j’ai voulu me protéger, prétexté un besoin de lunettes que je devais aller
chercher dans le bureau d’à côté. Là, j’ai commandé à mon greffier de se coller
contre la porte, d’écouter et noter ce que j’allais articuler à voix haute face
à l’émissaire. Et voilà ce que j’ai lu, conclut-il en tendant la copie de sa
lettre au marquis qui la déplie et découvre.
21
septembre 1669
A l ’intendant de Guyenne,
Macqueron
Faites
prononcer quelque condamnation contre le capitaine, marquis de Montespan, pour tâcher
de façon ou d’autre de l’impliquer dans une affaire avec apparence de justice.
Si vous
pouvez faire en sorte qu’il pût être lourdement chargé pour que le Conseil
souverain eût matière de prononcer quelque condamnation grave, ce serait une
fort bonne chose. Vous en devinez les raisons pour peu que vous soyez informé
de ce qui se passe en ce pays-ci.
Je vous
prie de rien oublier pour faire réussir ce que je désire en cette occasion et
de m’en donner des nouvelles tous les ordinaires par une lettre à part écrite
de votre main et de me renvoyer celle-ci.
Louvois
Montespan
abasourdi commente les derniers mots :
— ... « et
de me renvoyer celle-ci » , il ne voulait pas que la perfidie demeure
dans les archives...
— ...
Alors que moi, précise l’intendant, je tenais à cette copie pour décharger ma
responsabilité en laissant à la postérité des preuves de l’intervention du
ministre et du roi.
La vaste
cheminée à tuyau de l’ancienne salle des gardes tire mal et enfume la pièce. Le
marquis ne se sent pas bien, la tête lui tourne. Il a la nausée, ouvre en grand
une fenêtre quoique ce soit l’hiver. Dans la cour, près du carrosse cornu où
s’accroche la glycine, Louis-Antoine fait des exercices sur un cheval d’arçons.
Le cocu se retourne. On ne peut être plus clair : de tutélaire et offrant
beaucoup d’or, la main de Sa Majesté devient persécutrice. Il faut charger le
marquis de tous les torts possibles quitte à en inventer, salir l’image d’époux
modèle du Gascon. Il faut consommer la ruine du rebelle « avec
apparence de justice » , c’est écrit dans la lettre.
— Ils
complotent une machination pour se débarrasser de moi le plus sûrement
possible, falsifient les faits et me jettent sur les bras une affaire passible
d’emprisonnement à vie...
Un
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