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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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sais-tu ?
    — Mon
frère m’a écrit : «  C’est la première fois que j’ai eu ce
plaisir-là. Elle me fit beaucoup d’amitié mais des raisons de cour
l’empêchèrent de me voir davantage, ce dont je suis extrêmement
mortifié. »
    — Elle
est peut-être très occupée, essaie de trouver comme excuse Louis-Henri.
    « Très
occupée... », Répète en soupirant le médecin qui contourne le lit pour
dire à l’oreille du marquis : « Rejoignez-moi demain, à quatre heures
de l’après-midi, devant le chantier du château de Versailles. Je vous prêterai
ma longue-vue et ainsi vous verrez à quoi cette mère exemplaire est occupée
pendant que sa fille... » Le praticien s’en va, suivi par la religieuse
entraînant Dorothée par le bras : « Il faut maintenant les laisser
tous les deux. »
    Dans la
chambre Spartiate aux tomettes rouges du couvent de Charonne, l’encens rôde
mêlé aux odeurs de cire. Marie-Christine, à douze ans et paupières closes, se
meurt de l’absence de sa mère. Elle ne parle plus ni ne semble entendre. Son
père voit peu à peu les esprits de la vie se retirer d’elle. Mais comme tous
les agonisants qui sentent leur âme s’enfuir, les images de son existence lui
reviennent dans les yeux qu’elle ouvre à nouveau :
    — Père...
faites-moi comme maman me faisait...
    — Mais
que te faisait-elle ?
    — Gru-gru-gru...
    «  Ah
oui... » Louis-Henri se rappelle le bonheur des jours anciens en famille
avec ses éclats de rire. « Rooh... Oh, oh, oh ! » murmure-t-il
doucement comme un écho lointain. « Rooh... Oh, oh, oh !...
Gru-gru-gru ! » continue-t-il en élevant un peu la voix.
« Attention, je suis un démon !... » Assis maintenant au bord du
lit, il roule des yeux, fait des grimaces à sa fille. « Rooh... Oh, oh,
oh !... Gru-gru-gru ! Attention, je suis le diable ! »
lance-t-il dans le couvent. Il glisse sa langue sous la lèvre inférieure qu’il
pousse en avant, singeant un vieil édenté, pose l’extrémité des pouces contre
ses tempes et remue les autres doigts tendus en l’air. « Rooh... Oh, oh,
oh ! » Il tire la langue à Marie-Christine, lui fait un pied de nez à
deux mains qu’il agite l’une devant l’autre, falsifie des bruits de pets
démoniaques en faisant vibrer ses lèvres : « Brr !... »
Montant de plusieurs notes, il imite de manière comique la voix de
Françoise : « Rooh... Oh, oh, oh ! », se projette dans des
cocasseries sans limites, gonfle ses joues tel un poisson-lune puis brutalement
les creuse exagérément en louchant beaucoup  – pupilles dirigées ensemble
vers la pointe du nez. « Attention, c’est moi ta maman Belzébuth. Si je
t’attrape le cœur, t’es... » Marie-Christine, souriante, tourne la tête
sur son oreiller et ne la redresse plus. Sa chemise de nuit s’immobilise.

 
43.
     
     

    — Où ça,
docteur ?
    — Là, à
gauche de la terrasse, sur l’aile du roi. Mais non, pas ici, monsieur de
Montespan ! Vous braquez votre longue-vue sur l’aile de la reine... De
l’autre côté, au premier étage, septième fenêtre en partant de la gauche.
    — Celle
qui est ouverte ?
    — Voilà,
c’est ça. Y êtes-vous ?
    — Ce
n’est pas possible, je ne le crois pas !
    — Donc
vous y êtes..., sourit le médecin près du marquis éberlué et à l’œil droit plaqué
au bout du tube optique.
    Louis-Henri
règle la netteté de l’image de sa lunette télescopique :
    — Françoise,
ce qu’on t’oblige à faire !...
    — Ce
qu’on l’oblige, ce qu’on l’oblige..., relativise le thérapeute.
    Dans une
antichambre enorgueillie de statues de bronze et de vases de Chine, l’épouse de
Montespan, à genoux sur le parquet et de profil, taille une pipe à Louis XIV. Une horloge sonnante, en
or, ponctue seize heures.
    — Sa
Majesté est très précise, apprécie le praticien en vérifiant à sa montre. D’est
en ouest, l’ordre de succession des pièces du palais correspond au rythme d’une
journée type du Roi-Soleil. À quatre heures, comme une marionnette mécanique,
il s’arrête dans l’antichambre devant sa maîtresse qui l’attend à genoux,
bouche ouverte.
    Le monarque
debout, d’une main tendue sur le côté, tient majestueusement le pommeau de sa
canne et, menton relevé, regarde droit devant lui pendant que la marquise le
suce. Quoique Louis-Henri ait les boules, il étire les sept sections de la
lunette pour mieux

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