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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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citron d’Espagne. Elle les sert et s’en va, retirant encore quelques brins
de paille à son corsage mal refermé. Le chancelier se désaltère par petites
lampées de l’eau glacée tandis que Louis-Henri tient son verre à deux mains en
regardant longuement flotter la fine tranche d’agrume.
    — Ma
femme est-elle heureuse ?...
    Le visiteur
assis, dos aux lotus pourrissants dans l’eau croupie des douves, observe la
cour démolie du misérable château lézardé, puis à droite le fameux carrosse
cornu abandonné près d’une énorme glycine contre un mur. Tout poussiéreux avec
des traces de fientes d’oiseau et portière dégondée à la vitre brisée, il est
devenu un poulailler où les volailles couvent sur ses banquettes de cuir crevé.
Un petit coq arrogant, perché sur une des ramures de cerf dominant le noir
véhicule, chante dans l’éblouissement de l’été.
    — En tout
cas. elle est très exigeante, commente l’Anglais. Certains commencent à la
surnommer « Quanto » à cause du jeu de cartes italien, quantova, qui
veut dire « combien ». Athénaïs a voulu son propre château à Clagny.
Pas à l’est de Clagny, pas à l’ouest, ni au nord ou au sud, mais à la place de
Clagny. Elle a fait expulser les habitants, démolir l’église, raser le village
et déplacer le cimetière, mais lorsque le roi a montré les plans du palais
qu’il proposait, elle eut l’audace de remarquer avec mépris que c’est le genre
de résidence qu’on offre à « une fille d’opéra ». Alors maintenant,
c’est Mansart qui lui construit un petit château féerique. Il coûtera le quart
du budget de la marine. A la cour de Versailles, dit « le Tripot »,
le roi règle systématiquement les dettes que votre épouse contracte. Elle
inflige à la Trésorerie du royaume des dépenses énormes. Elle se saoule chaque
soir, joue, perd des sommes fantastiques et jette ses colliers de perles sur le
tapis vert, jusqu’à sept par semaine.
    Le Gascon suit
des yeux l’ascension du vol ivre d’une abeille croisant un papillon virevoltant
et maladroit :
    — Elle
n’est pas heureuse, quoi...
    — Marquis,
se lance le chancelier, Sa Majesté m’a ordonné de me mettre en route pour la
Guyenne afin de vous annoncer une excellente nouvelle : «  Faites
savoir à M. de Montespan que son marquisat va être érigé en duché-pairie et que
j’y ajouterai le nombre de seigneuries convenables, ne voulant pas déroger à l ’usage. »
    Louis-Henri,
en vaste chemise blanche débraillée sur une épaule nue, contemple toujours le
verre entre ses longues jambes écartées, chaussées de bottes râpées. L’Anglais,
devant l’absence de réaction du hobereau, craint de ne pas s’être fait
suffisamment comprendre et précise :
    — C’est
sans rien demander en retour que le roi vous propose de devenir duc. Le duché
de Bellegarde vient de tomber en déshérence.
    — Est-ce
qu’on la voit quelquefois soupirer, l’air de regretter un bonheur passé... et
peut-être même pleurer dans ses mains ?...
    — Ah oui,
elle pleure beaucoup... depuis que la veuve Scarron a été nommée marquise de
Maintenon ! Votre femme exige de devenir duchesse pour se trouver
au-dessus de la gouvernante de ses enfants royaux. Vous pouvez juger du martyre
que souffre son orgueil outragé aussi par le fait qu’elle doive rester debout
en public devant le roi quand bien même elle est la personne la plus importante
de la cour. Pour obtenir le tabouret, il faut être duchesse mais Athénaïs ne
peut être créée duchesse sans que son mari fût duc, d’où l’objet de ma
visite...
    Montespan fait
silence, pose son verre, se lève pour retourner s’asseoir dans la partie
ensoleillée du muret. Hyde se déplace le long des douves jusqu’au marquis qui
redresse la tête et lui déclare :
    — Je suis
sensible, milord, autant que je le dois à l’honneur que vous avez bien voulu me
faire en venant ici, et cependant, permettez-moi de trouver étrange qu’un homme
de votre importance ait accepté de se mêler d’une semblable négociation.
    Le roi de
France ne m’a pas consulté lorsqu’il a voulu faire de mon épouse sa maîtresse,
il est assez extraordinaire qu’un aussi grand prince attende aujourd’hui mon
intervention pour récompenser une conduite que j’ai improuvée, que j’improuve,
que j’improuverai jusqu’à mon dernier soupir. Sa Majesté a fait huit ou dix
enfants à mon épouse sans m’en dire

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