Le Monstespan
sa
botte et, de la pointe de la lame, trace une croix sur la croûte d’un pain. Il
entame la miche et porte un gros morceau dans sa bouche.
— Ne vous
jetez pas sur la nourriture, vous vous faites les poches aux joues comme les
singes ! lui dit Louis-Antoine qui s’adresse ensuite à son père. Nous
allons encore souper avec des roturiers ? Est-ce une habitude, ici ?
Et, à ce que je vois, ce sont les domestiques qui mènent la maison !
L’enfant de
six ans s’en va, furieux, vers sa chambre à l’étage du castel. Un vol d’oies
sauvages. L’haleine parfumée des herbes hautes des prairies. Une rivière chante
sur les galets polis. Les habitants dévoués de Bonnefont arrivent avec des
bouquets. Des musiciens portent une harpe et quelques violes de gambe. Ils font
maintenant dans la cour du château des pas de bohémiens avec une délicatesse et
une justesse qui charment. Des hommes harassés, mal nourris, s’approchent
aussi. Ils descendent de la montagne en piquant des bœufstransportant
des bois pour la marine royale. Les gens du village s’affairent à l’intérieur
du mur d’enceinte. Les femmes coupent des légumes qu’elles jettent dans des
bassines d’eau bouillante. Les hommes soufflent sur des braises et préparent un
grand feu pour griller les pièces de gibier. Une joyeuse agitation pleine de
vapeurs et de fumées étourdit Chrestienne de Zamet, assise sur une chaise au
centre de la cour et qui demande : « Où est mon
fils ? » Quelqu’un lui répond : « Devant vous, sur la
colline. »
Marie-Christine
passe le pont-levis pour rejoindre son père. Dorothée s’apprête à la suivre
mais Mme Larivière la retient par le bras : « Reste ici... »
— Viens
plutôt m’aider à poser des planches sur les tréteaux, suggère gentiment Cartet.
La mère du
marquis, regardant aller Marie-Christine, soupire avec tristesse :
— Qui
veillera sur cette pauvre petite après ma mort ?
— Moi, je
veux bien, répond la fille de la cuisinière, en disposant des auges sur les
tables dressées en « U ».
Quant au... marquis
d’Antin, bras croisés à la fenêtre ouverte de sa chambre, il toise ceux qui
s’affairent en bas et prévient :
— En tout
cas, moi, je refuse d’aider ! Je ne suis pas domestique. Je fus reçu à la
cour d’Espagne !...
Au sommet de
la colline, face au castel, Montespan fleurit la tombe de son amour –
quelques roses couchées sur un tas de terre entouré d’arbrisseaux de lavande.
Le cocu s’assied dos à la sépulture, contemple le paysage. Devant le château,
les villageois se sont lancés dans des danses campagnardes – figures très
hardies et qui font du corps une agitation universelle.
Les mouvements
des têtes accompagnent ceux des pieds suivis des épaules et de toutes les
autres parties du corps. Ils s’approchent, se rencontrent, s’éloignent, se
retrouvent, se joignent l’un à l’une de manière si effrontée que le curé de
Bonnefont promet d’excommunier ceux qui continueront cette danse diabolique.
— Mais
quoi, père Destival, s’exclame un ferronnier, à quatre-vingt-quatre ans, vous
n’êtes toujours pas décédé ?
— Le Bon
Dieu m’a oublié, s’excuse le curé tandis que tout le monde danse de plus belle.
Louis-Henri
voit sa fille grimper le sentier. Elle s’assoit entre les jambes écartées de
son père. Derrière eux, une croix de bois avec deux dates. Les bras du marquis
enlacent Marie-Christine. L’enfant égrène de la lavande prise à côté. Elle en
sème sur la pente de la colline.
— Elle
sera toute bleue après, la montagne..., sourit Montespan dans les cheveux et la
nuque de l’enfant.
Marie-Christine
ne dit rien et continue de souffler les graines dans sa main.
41.
Le 2 avril
1674, malgré une forte pluie de printemps, Montespan et Cartet emmènent au
matin le petit marquis d’Antin chasser dans la montagne. L’ancien capitaine de chevau-légers
et celui qui fut maréchal des logis aiment aller dans ces épaisses forêts
abondantes en sangliers ou grimper dans les cols afin de poursuivre les ours et
les isards qui s’élancent de rocher en rocher.
Louis-Henri
voudrait apprendre à son fils comment tuer le lièvre, la perdrix, et la grosse
bête. Il aimerait le former à ces jeux rugueux auxquels celui-ci paraît peu
disposé.
Louis-Antoine
préfère suivre son précepteur qui le conduit dans le parc pour de longues
promenades propices aux cours de
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