Le Monstespan
ce tournoiement.
À l’étage, le
cocu comprend qu’il ne pourra s’approcher davantage de sa femme. Une véritable
petite armée est postée devant ses appartements. Bon... mais il tombe en arrêt
devant un tableau, sans doute de Mignard, accroché contre un mur. C’est
Françoise ! Le cœur du Gascon se met à battre vite devant la
représentation de celle dont il ne peut décidément oublier ni la voix ni le
visage. Mais qu’elle est belle, alanguie sur un tapis d’Orient et accoudée dans
un décor de feuillages ! Elle porte autour du cou un collier de perles...
Grr ! Quatre enfants l’entourent. Sont-ce quelques-uns des bâtards qu’elle
a eus avec le roi ? Une étiquette en cuivre, vissée dans le bas du cadre
doré, indique qu’il s’agit de gauche à droite de : Mlle de Nantes, le
comte de Toulouse, Mlle de Blois, le duc du Maine. « Ils sont
beaux », pense Montespan.
Ils sont très
moches ! Louis-Henri les a retrouvés tous les quatre dans le parc, à peu
près disposés comme sur le tableau, sans Françoise hélas ! À l’ombre d’un
épais bosquet, il est tombé sur eux — Ô hasard ! - qui le regardent
autour d’un tapis. Celui qui est debout à droite, le plus âgé, se
présente :
— Duc du
Maine.
Montespan
comprend pourquoi le peintre l’a représenté en long manteau de vizir traînant
au sol. L’adolescent a une jambe atrophiée beaucoup plus courte que l’autre et
boite de manière extrêmement pathétique malgré une énorme semelle en bois. Il
s’assied sur le tapis en souriant :
— On me
surnomme « le Gambillart », je ne suis pas très fringant. À trois
ans, quand mes grosses dents percèrent, cela m’a donné des convulsions si
terribles qu’une de mes jambes s’est retirée beaucoup plus que l‘autre. On a
essayé d’allonger la petite. Depuis, elle traîne encore davantage.
Devant du
Maine, Mlle de Blois se marre en s’asseyant à son tour. Avec une épaule plus haute
que l’autre, cette poupée de sang ressemble à un cafard. Elle chante des
chansons salaces et paraît avoir une sexualité débridée, totalement anormale
pour son jeune âge.
« Elle
couche avec son père, le roi », dit Mlle de Nantes qui louche horriblement
et est toute velue. Venue s’accroupir telle une guenon, elle se coiffe un genou
et en tresse les longs poils. Le comte de Toulouse est bossu. Les rejetons
légitimés de Sa Majesté ne jouissent pas d’une brillante santé. Conçus dans
l’embrasure d’une fenêtre ouverte, les fruits adultérins du Roi-Soleil semblent
frappés d’une malédiction générale. Ah, ils ne sont pas comme en peinture, les
bâtards de Louis XIV ! Le peintre a menti, travesti la réalité, pourtant quel tableau ça aurait fait.
Montespan leur demande :
— Mais
n’avez-vous pas d’autres frères et sœurs ?
— Ah oui,
mais ils sont... ils sont partis sodomiser les anges, rigole la foldingue Mlle
de Blois en relevant sa robe et montrant son cul merdeux au Gascon.
— En juin
dernier, soupire le duc boitant bas, notre frère, le comte de Vexin, nous
quitta. Il n’aura vécu onze ans que pour faire voir par ses infirmités qu’il
était heureux de mourir. Il ne pouvait plus souffrir le jour. Voulez-vous jouer
aux cartes avec nous, monsieur ?
— Ah,
mais bien sûr, mes enfants... Je vais les distribuer.
Le donneur de
cartes est sensible au comique de sa propre situation autour de ce tapis dans
l’herbe. Le marquis de Montespan, à Versailles, joue avec les enfants de son
épouse... Il joue et donne très respectueusement, avec un baisement de main
velue qui laisse de longs poils entre les dents, une carte à cette fille de sa
femme comme si c’était la sienne :
— Tiens,
voilà, ma cadette.
Il se retourne
quelquefois et rit toujours un peu. Le bossu demande au cocu :
— Comment
doit-on vous appeler, monsieur ?
— Papa.
Quelqu’un
d’intrigué, là-bas, les observe tous les cinq puis se décide à venir vers le
tapis. Montespan se lève :
— Finalement,
je vais devoir quitter la partie. Amusez-vous bien et soyez sages, mes enfants.
Le Gascon
s’éloigne rapidement et tourne à un angle du palais alors que la personne
intriguée s’approche des bâtards :
— Qui
était cet homme ?
— Monsieur
Pâhpâh.
La nuit venue,
après les festivités et les concerts en plein air illuminés par les flambeaux,
la foule de courtisans rejoint ses appartements ou les tables de jeu de
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