Le Monstespan
nez gigantesque. Montespan s’en lève d’effroi et
recule, observe l’horrible reine courtaude au cul découvert.
— Ah,
mais ce n’est pas possible, quel boudin d’Auvergne ! Je comprends qu’il
préfère ma femme, votre mari... C’est même la première fois que je comprends le
roi. Comment jouer à colin-tampon avec vous ?
Louis-Henri ne
sait où trouver la motivation, cherche autour de lui et se dit qu’à part, posée
sur le petit bureau, la carafe d’alcool pour se saouler la gueule... il ne va
jamais y arriver. Il s’enfonce dans le fauteuil devant le meuble sur lequel il
étale et croise ses talons rouges crottés par la terre du parc, se sert un
digestif doré d’Alicante et boit d’un trait. Il se sert à nouveau. Une boîte de
chocolats ouverte le tente. Il en boulotte quelques-uns puis tous et la
renverse en se marrant. Le cocu commence à être bien torché, sort de son
pourpoint une pipe en os qu’il allume et crache en l’air des ronds de fumée
vers le plafond peint par Le Brun. La braise du petit fourneau grésille et
rougeoie dans l’obscurité de la chambre. Dehors, par la fenêtre ouverte à l’étage,
on voit derrière le mur de clôture des forges en activité, les gerbes
d’étincelles des métaux hurlant de quelque diable à l’ouvrage. Louis-Henri ôte
sa perruque qu’il pose près de la pipe et se lève, boit le reste de la carafe
au goulot, s’essuie les lèvres et baisse sa culotte de soie rose, s’approche du
monumental baldaquin mais... rien.
La reine, dans
son sommeil, s’est retournée sur le dos et, bouche molle grande ouverte, elle
ronfle. Louis-Henri, debout et la bite à l’air, déambule dans l’immense chambre
royale, se confie :
— J’étais
si bien, moi, avec Françoise... J’aimais ses rires et tout ce qu’elle me
disait. Très solitaire par goût, j’étais mieux que seul avec elle. Dès qu’elle
était là, je respirais mieux, m’apaisais. J’aimais surtout son intelligence.
Elle me manque, si vous saviez... Je ne puis m’habituer à son absence. Dès
qu’elle ouvrait une porte dans une pièce où j’étais, un sourire allumait mes
lèvres : « Bonjour chérie, ô mon amour ! » Souvent,
m’endormant contre son corps, je joignais mes paumes. Se réveiller à ses côtés
était un rêve qui allait se poursuivre tout le jour et je m’en mordais les
lèvres de bonheur. Certains matins, la bouche en sang, elle baisait mes
plaies : « Tu m’aimes tant. » « Trop ? »
demandais-je, et elle riait. Quand quelque nuit elle paniquait, prise de son
angoisse, c’est moi qui la consolais, la rassurais : « N’aie crainte,
tout ira bien... »
Marie-Thérèse
parle en dormant :
— Ceppe
tupe me fera mourir !...
L’austère et terne reine née à Madrid n’est jamais parvenue
à apprendre correctement le français et la subtilité des traits d’esprit des
courtisans la plonge dans des abîmes de perplexité. Elle confond les
« t » et les « p ».
— Quoi ? Qu’avez-vous dit ? !...
Montespan fronce les yeux, prêt à lui écraser sur sa gueule
un des grands vases chinois mais il se maîtrise, tourne le dos à cette idiote,
fervente adepte des jeux et adversaire particulièrement appréciée car elle ne
comprend jamais rien aux règles.
— De toutes façons, à quoi bon vous réveiller, vous ne
voudriez pas de moi. L’idée de simplement poser les yeux sur un homme qui
n’aurait pas été consacré par Dieu vous semble inconcevable. Il vous le faut
vêtu en empereur romain, tunique d’or et diamants, et coiffé d’un casque
surmonté d’une plume ! Tandis que Françoise, moi, je sais qu’elle est
douce et gentille, aux goûts simples, qu’elle avait un sexe rose doucement
nacré, tiens, comme l’intérieur de ce mollusque, petit bénitier fixé à votre
mur. Oh oui, elle avait un coquillage...
Si Marie-Thérèse se réveillait, se redressait, elle verrait
le bras droit du marquis de dos s’agiter d’un frénétique va-et-vient. Des
larmes de lait filent soudain dans l’eau bénite, tournoient en longs filaments.
Quelques gouttes encore tombent et s’éclatent comme des perles mais l’on entend
des portes s’ouvrir et venir des bruits de pas sur le parquet d’un couloir.
Montespan, déjà à la fenêtre, saute dans le vide. Heureusement que les
apprentis, tout de suite accourus, ont vite reformé leur pyramide humaine le
long de la façade. Le dernier, en grimpant sur les deux du
Weitere Kostenlose Bücher