Le Monstespan
quelque
suite princière à l’intérieur du palais. Montespan, resté dans le parc, rôde
toujours entre les arbres lorsqu’il aperçoit soudain six têtes alignées
s’élever derrière un taillis. Elles ont sur le crâne une courte perruque blonde
coiffée à la hurluberlu et quoique les visages aient vieilli, le Gascon
reconnaît, surtout à leur blouse grise, les six apprentis du perruquier
Abraham :
— Mais
que faites-vous là ?
Les six têtes
descendent et disparaissent derrière le taillis d’où montent six voix l’une
après l’autre :
— Grâce à
une complicité, on s’infiltre dans le domaine et vient les dimanches et jours
de fête essayer de l’apercevoir...
— Entre
chien et loup, on grimpe dans les arbres pour la regarder à travers les vitres
se baigner nue dans sa salle d’eau, mais ce soir c’est impossible...
— La
garde de nuit a délaissé le reste du château pour se regrouper autour de sa
partie de bâtiment et empêcher toute approche car le roi, sachant que vous êtes
sorti de votre exil, craint un enlèvement...
— Mais
l’après-midi, à quatre heures, devant le grand chantier du palais...
— On la
contemple avec une longue-vue...
— Et
alors là, ce qu’on voit...
« Oui,
bon, ben ça va ! » s’énerve le cocu accroupi qui se lève :
« Venez plutôt m’aider. »
Les six têtes
réapparaissent ensemble :
— À
l’enlever ?
— Mais
non, puisque c’est impossible.
Traversant le
parterre du Midi alors que la sécurité loyale se trouve de l’autre côté, la bande
arrive au pied de l’appartement de la reine. Montespan repère sa chambre à
l’étage où la lumière vient d’être soufflée. Ancien capitaine, il attend
quelques minutes et ordonne :
— Allons-y !
Les longs
apprentis minces cavalent jusqu’à la façade puis, trois au sol, deux allant
debout sur leurs épaules et encore un autre au-dessus, ils forment vite une
haute pyramide humaine que Montespan se dépêche d’escalader comme s’il montait
un escalier – là un pied sur une épaule, une tête, une main –
jusqu’au bas de la tablette d’appui. À la force des bras, il se hisse et entre
dans la chambre à la fenêtre ouverte puisque Sa Majesté, tout à l’heure,
rejoindra la reine.
— Le roi
baise ma femme, je vais baiser la sienne...
Pendant qu’il
entend dehors, en catimini et le long de la façade, finir de se désagréger
l’échafaudage humain des apprentis partis vite se cacher en silence, lui
– fou plein d’extravagances, dirait l’Autre – ose venir à
pas de loup s’asseoir au bord du lit de Marie-Thérèse qu’il n’a jamais vue.
Elle dort enfouie parmi les oreillers dans un décor éteint délirant d’or au
plafond astral et Louis-Henri lui parle tout bas d’une voix à peine
audible :
— Votre
mari, en ce moment, fait l’amour à ma femme. Agissons de même pour qu’il
connaisse lui aussi le poids des cornes.
Montespan
soulève très délicatement et pouce à pouce, comme on retire le pansement sur la
plaie à vif d’un blessé, le magnifique dessus-de-lit brodé d’une scène de
chasse à courre sonnant la curée d’une biche en fils d’argent. La couverture et
le drap de satin sont retirés ensemble. La chemise de nuit de la reine
tire-bouchonne autour de ses jambes. « Vous êtes courte sur pattes »,
regrette le marquis, glissant une paume sous le vêtement et remontant à
l’arrière d’une cuisse. Il n’aime pas cette peau qu’il trouve... bête.
Françoise, elle, oui, sa peau est spirituelle et son cul a de l’esprit, tandis
que celui de Marie-Thérèse, constate le Gascon en soulevant haut la chemise de
nuit, quelle désolation ! Un machin carré sous rien comme hanches qui
donne une silhouette de marcassin.
— Dans
les bordels derrière la place de Grève, vous ne feriez pas une pistole.
Montespan mate
le cul nu de la reine à Versailles. Une toux, le moindre mouvement, le plus
léger hasard pourrait déceler ce téméraire, et alors que deviendrait-il ?
— On
raconte que vous faites dire une messe spéciale à chaque fois que le roi vous
grimpe. Avec moi, le curé ne vous verrait pas souvent.
Il écarte
l’encolure en dentelle pour observer les seins... vilains. Du plat d’une paume,
Louis-Henri écrase lentement le duvet d’un oreiller pour découvrir un visage de
profil aux dents gâtées, affligé d’un teint cireux aggravé par des taches
brunes piquées près d’un
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