Le mouton noir
afin dâêtre exemptés de la sorte des droits dâentrée au pays.
Jâaurais aimé témoigner contre Bigot et sa bande, mais jâétais bien conscient quâon nâaurait jamais cru le témoignage du pauvre commis aux écritures que jâavais été. Par contre, jâeus la satisfaction de voir que les preuves que jâavais apportées servirent à bonne fin. Peu de temps avant de regagner Québec, je demandai au procureur la faveur de dire deux mots à Bigot. Je ne croyais jamais quâon me lâaccorderait, mais on le fit. Jâavais lâoccasion de retourner à lâintendant ce quâil mâavait lancé avec tant de mépris. Quand je fus en sa présence, je lui dis:
â Vous me reconnaissez sans doute, Clément Perré, le petit commis aux écritures de votre secrétaire Deschenaux. Je veux simplement vous retourner un de vos mots dâesprit dâil y a plus de vingt ans: âNâest-ce pas vous qui paierez?â
Quand je regagnai La Rochelle, au printemps de 1763, afin dây monter sur un navire en partance pour Québec, le procès tirait à sa fin, mais les sentences nâétaient pas tombées et jâétais bien peiné de ne pas pouvoir en informer tous ceux que jâaurais voulu. Tout au long de mon séjour, jâétais devenu ami avec lâenquêteur Querdisien. Il promit de me faire part des résultats du procès dès que tout serait terminé.
Ce fut donc en paix, avec la satisfaction du devoir accompli, que je montai à bord du vaisseau La Parfaite Union pour regagner Québec. Je nâavais plus quâun rêve en tête: celui de retrouver au plus tôt Verchères et de rendre heureux mon épouse, mes petits-enfants et tous ceux et celles qui habitaient au manoir. La vie mâavait appris une chose: ce nâest pas ce que nous avons qui nous fait vivre, mais bien ce que nous donnons. Je nâavais quâà me rappeler les visages longs, tristes et soucieux de Bigot et de ses acolytes pour confirmer que rien ne sert de vouloir sâenrichir, surtout pas aux dépens des autres, car au fond, la plus grande richesse se trouve dans lâamour de ceux qui nous entourent. Il mâavait fallu toutes ces années de ma vie pour le comprendre et voilà quâau moment où, à soixante-dix ans, jâentrais plus profondément dans la vieillesse, jâavais enfin la satisfaction de pouvoir me consacrer à mon entourage.
Le mouton noir en moi montrait désormais un pelage plus blanc.
Chapitre 61
Retour à Verchères
Rien au monde, je crois bien, nâest plus agréable que de revoir les siens après une très longue absence. Je trouvai fort longue la traversée de la mer jusquâà Québec. Pourtant, les vents nous étaient favorables et aucune tempête ne vint perturber notre voyage. Une fois de plus, je fus profondément impressionné, quand notre vaisseau entra dans le golfe du Saint-Laurent, par lâimmensité et la beauté de notre pays. Je ne mâennuyai pas une seconde de la vie trépidante de Paris. Le simple fait de voir les goélands suivre nos voiles suffit à me faire aspirer au plus tôt à la vie paisible de Verchères. Il me semblait que toute ma vie nâavait été quâune course et voilà quâenfin jâallais trouver mon havre de paix.
Bien que jâaie toujours aimé Québec, je ne mây attardai pas. Je racontai à mon ami Huberdeau les péripéties de mon séjour à Paris et du procès, et lui fis part de mes prédictions sur les sentences qui seraient rendues. Bigot, comme Cadet et Péan, et peut-être même Varin et Bréard, risquaient tous un verdict de mort. Mais il ne fallait pas trop nous faire dâillusions, car le pouvoir des malfaiteurs sâavère parfois plus grand quâon ne le croit et ils sâen tirent souvent sans trop de mal. Mais je ne pouvais pas croire que Bigot et les siens échapperaient à lâéchafaud.
Dès que je le pus, je montai à bord dâune barque en partance pour Montréal. Il fallut quatre jours avant que je puisse toucher Verchères. Je nâavais pas pu prévenir Justine du jour de mon arrivée. La joie que je lus dans ses yeux quand elle mâaperçut me consola de tout ce temps passé loin dâelle. Marie-Louise
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