Le mouton noir
les noms qui me parurent les plus intéressants:
Cacouna: «Où il y a toujours des porcs-épics».
Canada: «Village».
Chicoutimi: «Jusquâoù câest profond».
Gaspé: «Extrémité ou fin».
Kamouraska: «Où il y a des joncs au bord de lâeau».
Maskinongé: «Brochet difforme».
Matapédia: «Jonction des eaux».
Rimouski: «Terre des orignaux».
Restigouche: «Rivière à cinq branches».
Saguenay: «Dâoù lâeau sort».
Tadoussac: «Mamelles».
Mais je ne me contentai pas dâapprendre la signification des noms dâorigine indienne; je voulus connaître la provenance de certains noms français. Bien entendu, pour lâîle aux Basques, je supposai que des Basques y avaient séjourné et quant à Trois-Rivières ou Cap-Rouge, il était bien évident quâon avait nommé ces endroits dâaprès la configuration de ses eaux pour lâun et de la couleur du sol pour lâautre. Les côtes de Beauport et de Beaupré signaient clairement leur nom, tout comme la rivière Chaudière, qui devait le sien aux cuvettes formées par lâeau en bas de la chute du même nom. Mais dâoù venaient celui de la rivière du Sault-à -la-Puce et celui de Côte-de-la-Misère?
à Québec, sâil était facile de deviner pourquoi nous avions les appellations de côte du Palais et côte de la Montagne, il fallait plus dâimagination pour saisir ce quâon entendait par la rue du Sault-au-Matelot. Il devait y avoir derrière ce nom une aventure particulière. Je demandai aux gens leur avis. On me sortit toutes sortes dâexplications tout aussi farfelues les unes que les autres. Je savais que le mot sault faisait allusion à une chute dâeau. Mais un homme mâassura quâun matelot était tombé de la falaise, dâoù saut au matelot. Un autre soutint que câétait plutôt un chien nommé Matelot qui était tombé à cet endroit. Je préférai me faire à lâidée quâun matelot ivre se fût affalé en tentant de traverser le ruisselet au bas de ce sault.
Je mâamusai comme cela à questionner les gens, par exemple sur la signification de la Côte-de-la-Misère. Certains me dirent que la côte était si abrupte quâon avait de la difficulté ou de la misère à la monter, ou encore que câétait une côte où vivaient des miséreux. Jâappris quâil sâagissait plutôt de la Côte-de-la-Miséricorde dont le nom avait été abrégé. Jâeus, une fois de plus, lâoccasion de constater comment lâimagination permettait toutes les interprétations possibles.
Chapitre 62
La fin du procès
Par un des derniers navires venus de France en cette année 1763, je reçus une lettre de lâenquêteur Querdisien. Mon ami tenait promesse. Je mâempressai dâen prendre connaissance, impatient dâapprendre enfin le sort de ces malfaiteurs.
Cher ami,
Je sais que comme beaucoup de Canadiens, vous auriez préféré que soit appliqué envers Bigot ce que Moreau, le procureur du roi, suggérait aux commissaires: la peine de mort. Voici précisément ses propos:
«Je requiers pour le Roy que ledit Bigot soit conduit aux Thuileries et quâil y déclare à genoux, la voix haute, que méchamment, témérairement et comme mal avisé, il a, pendant tout le temps quâil a été chargé de lâadministration intérieure en Nouvelle-France, de 1748 à 1760, toléré, favorisé, commis lui-même les abus, exactions, malversations, prévarications, infidélités et vols détaillés au procès, quâil se repente et demande pardon. Ce fait, quâil se fasse pendre et étrangler par lâexécuteur de la haute justice jusquâà ce que mort sâensuive, et ce, à une potence qui, pour cet effet, sera dressée en la place des Grèves; que ses biens soient ensuite confisqués au Roy ou à qui il appartiendra.»
Malheureusement, les juges ont choisi dâêtre plus clé ments. Le procureur Moreau, le juge principal Sartine, de même que le rapporteur Dupont et les vingt-six commissaires appelés à se prononcer sur ce quâon appelle ici lâAffaire du Canada, ne voulant pas discriminer
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