Le mouton noir
à lâauberge du Cheval blanc. Jâeus amplement le temps de causer avec Huberdeau et de suivre ses bons conseils à propos des démarches que je mâapprêtais à entreprendre à Paris. En sa compagnie, jâassistai au chargement des fourrures que le navire transporterait en France. Je me permis, ayant les moyens de le faire, de me payer une cabine à bord, étant assuré de la sorte de profiter au maximum de ce voyage. Je nâétais pas sans appréhender cette longue traversée. Même si jâétais habitué de naviguer et que jâavais déjà été en France, je demeurais craintif. Cependant, à voir avec quelle dextérité les hommes dâéquipage préparaient cette traversée, je mây engageai confiant.
Les vents nous étant favorables, il ne nous fallut que quelques jours pour nous retrouver dans le golfe du Saint-Laurent puis en pleine mer, du côté de Terre-Neuve et, ensuite, au grand large. Il ne se fait guère de voyages de la sorte sans que nous ayons à subir une ou deux tempêtes. Je ne sais trop à quelle hauteur nous nous trouvions quand de grands vents et des pluies diluviennes nous assaillirent. Je me réfugiai dans ma cabine, qui craquait de toutes parts, et je passai là les heures les plus angoissantes de la traversée. Je pensais à tout moment que nous allions sombrer, tant le navire était secoué. Mais notre heure nâétait pas venue puisque, après deux jours et une nuit dâenfer, le beau temps étant revenu, nous pûmes continuer notre route paisiblement.
Le mois de juillet se terminait quand le navire toucha le port de La Rochelle. En route, jâavais eu lâoccasion de causer avec les autres passagers dont un sieur Aramy, qui mâoffrit de loger chez lui à La Rochelle, le temps que je puisse organiser mon départ pour Paris. Quelques jours plus tard, en coche de diligence cette fois, et non en patache comme avec Bréard, je gagnai la capitale, heureux de mây rendre enfin, de nouveau fort impressionné par tout ce que je voyais.
Je me sentais comme un messager de bonheur pour les uns et de malheur pour les autres. Jâavais hâte de pouvoir me présenter devant lâenquêteur et, surtout, dâétaler sous ses yeux les documents si précieux dont jâétais porteur. Jâavais déjà , pour y être allé quarante ans plus tôt, une bonne idée de Paris, mais dès mon arrivée je me rendis compte que cette ville sâavérait beaucoup plus vaste et plus grandiose que dans mon souvenir. Jâavais bien du mal à mâhabituer à voir tant de monde et tant dâactivité dans les rues.
Je me fis conduire à travers les multiples rues de la ville non loin de la Bastille. Suivant les conseils du cocher, je me logeai à lâhôtel Impérial, à quelques pas de là . Une fois installé dans ce qui allait devenir ma pension pour quelques mois, jâentamai les démarches devant me permettre de rencontrer Querdisien. Je lui écrivis un billet lâinformant de mon arrivée à Paris et je le confiai à un jeune porteur chargé de le lui remettre en main propre.
Dès le lendemain, Querdisien me donnait rendez-vous dans un restaurant situé tout près de la Bastille où je devais le rencontrer à une heure. Il pleuvait à boire debout, mais je me sentais tout de même heureux de pouvoir enfin toucher au but, et ce mauvais temps ne me fit pas perdre ma bonne humeur. Je rencontrai lâenquêteur à lâheure dite.
â Vous avez pu venir, dit-il dâentrée de jeu, vous mâen voyez fort heureux. Vous savez que le secrétaire dâÃtat, le procureur et moi-même, avons mis tout en Åuvre pour faire payer à ces messieurs leurs méfaits. Mais depuis le début de notre enquête, nous nous butons constamment au même problème: nous manquons de preuves tangibles.
â Câest précisément ce qui mâa décidé à faire le voyage jusquâici. Je possède des copies de certains documents qui les incriminent, mais jâai également tenu un journal qui pourra certainement être utile.
â Ces documents, sont-ils en lieu sûr?
â On ne peut plus.
â Si je vous pose cette question, câest afin de vous mettre en garde. Ils ont de puissants alliés qui ne
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