Le mouton noir
manquent pas de les seconder dans tout ce quâils entreprennent pour leur défense. Vous pouvez être assuré que si lâun dâentre eux apprend votre arrivée à Paris et la raison de votre séjour, vous risquez dâavoir leur visite. Aussi est-il urgent que vous puissiez nous remettre les documents en question.
â Je le ferai volontiers, mais en présence du procureur et de ses assistants. Je tiens à ce que tous ces gens soient témoins de cette remise. Jâai à protéger mes arrières. Je ne veux point que lâun ou lâautre dâentre eux, pour faire du zèle, mâaccuse dâavoir été de connivence avec ces escrocs. Personne ne doit oublier que je nâétais quâun subalterne. Jâobéissais aux ordres. Cependant, comme je soupçonnais lâintendant et ses acolytes de ne pas jouer franc jeu, je me suis résolu à monter le dossier que je vous apporte.
â Vous nâavez rien à craindre. Par votre venue, vous rendez un grand service au roi lui-même ainsi quâà tous ceux à qui ces malfaiteurs ont fait tort, câest-à -dire tous les habitants de la Nouvelle-France.
Avant dâaller plus loin, je rappelai à lâenquêteur que ce voyage en France me coûtait fort cher. Il promit dâobtenir pour moi, par lâintermédiaire du procureur, de quoi rembourser toutes les dépenses que mâoccasionnerait mon séjour. Après quoi, il me dit quâil me ferait savoir quand je pourrais rencontrer le procureur.
Le lendemain, je me promenai dans Paris où jâétais venu quarante ans plus tôt en compagnie du marchand Bréard. Je voulais me familiariser quelque peu avec cette grande ville où jâétais appelé à passer plusieurs mois. Je ne mây sentais pas à lâaise. Jâallai admirer Notre-Dame et le palais du Louvre, visitai la Galerie royale de peinture au palais du Luxembourg. Je nâaurais jamais pu imaginer lâexistence de pareilles richesses. Quand, après une journée fort bien remplie, je revins à ma pension, ce fut pour y trouver ma chambre mise sens dessus dessous. Mon coffre avait été ouvert. Tout ce quâil contenait avait été éparpillé sur le plancher. Jâallai chercher le propriétaire de lâhôtel pour lui faire constater dans quel état jâavais trouvé mes biens. Il feignit lâétonnement, mais jâaurais mis ma main au feu quâil savait déjà ce qui sâétait passé. On lâavait sans aucun doute soudoyé, car, comme je pus le constater, les malfaiteurs avaient accédé à ma chambre sans en forcer la porte.
Fort heureusement, mon coffre avait gardé son secret. Comment ces gens avaient-ils pu me retracer? Seule ma rencontre avec lâenquêteur avait pu attirer lâattention sur moi.
Chapitre 60
Rencontre avec le procureur
Quand je racontai à Querdisien la fouille à laquelle ma chambre avait été soumise, il ne sâen montra pas étonné.
â Ils ont des yeux partout, dit-il. Déplorez-vous le vol de vos documents?
â Heureusement non. Ils les avaient pourtant sous le nez, mais ils ne les ont pas trouvés.
â Jâai parlé au procureur. Nous le rencontrerons demain matin au tribunal.
Jâavais hâte de pouvoir parler à ce sieur Moreau que je savais fort compétent et réceptif à tout renseignement. Il me reçut simplement et se montra aussitôt très vivement intéressé par les documents que je lui apportais. Je lui expliquai comment, étant à lâemploi de Deschenaux, le secrétaire de lâintendant, après mâêtre rendu compte que tout ne semblait pas être honnête dans les démarches de lâintendant, je mâétais efforcé de constituer ce dossier, croyant quâil pourrait être utile un jour.
â Vous avez été clairvoyant, dit-il. Laissez-moi quelque temps pour prendre connaissance de ce que vous mâapportez, je vous dirai de façon précise en quoi ces pièces justificatives me seront utiles dans cette poursuite.
Quand je le revis, deux jours plus tard, il se déclara enchanté de ce quâil avait lu.
â Les notes de votre journal me permettent dâavancer chacun de mes arguments avec précision. Le munitionnaire Cadet a craché le morceau,
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