Le mouton noir
lâéponge sur ce que tu viens de vivre pour la seule et bonne raison dâéviter que ta mère, de même que tes frères et tes sÅurs, apprennent ce qui vient de tâarriver. Lâhonneur de notre famille est en jeu.
«En partant de Verchères, jâai prétendu que je me rendais à Québec pour mâenquérir de ce que tu devenais. Jâai promis à ta mère que si je te retrouvais, je te ramènerais à Verchères. Que tu le veuilles ou non, tu feras le trajet du retour avec moi. Une fois au manoir, nous aviserons de ce qui sera le mieux pour toi.
«Nâoublie surtout pas que tu es encore mineur et quâil est de mon devoir de père de veiller sur toi. Tu as encore beaucoup à apprendre de la vie. Lâaventure que tu viens de vivre devrait te servir de leçon. Que tu sois coupable ou non nâest pas la question. Ce qui est important, câest que tu saches à lâavenir que les hommes ne sont pas tous aussi droits que ceux que tu as côtoyés depuis ton enfance. Un arbre qui pousse droit nâa pas raison de se mettre à crochir, sinon sous lâinfluence de ce qui lâentoure. Il faut savoir choisir ses amis, ce que tu nâas visiblement pas su faire.
«Je comprends, remarque-le bien, que ce sont parfois des choses qui arrivent et je suis enclin à fermer les yeux sur ce que je considère une erreur de jeunesse. Si tu veux, nous nous chargerons de te faire repartir du bon pied. Au besoin, nous ferons comme pour les arbres qui ont tendance à pousser croche, nous te donnerons un tuteur. à toi de savoir de quel côté de la clôture tu désires être.
«Voilà ce que jâavais à te dire. As-tu des objections à y apporter? Si oui, câest le temps ou jamais de le dire.»
Marcellin se tut. Clément, lâair piteux, bredouilla des excuses:
â Il faut me pardonner⦠Je me suis fait avoir par un escroc. Jâai travaillé pour lui plus dâune année et il ne mâa jamais payé.
â Si tu avais été le moindrement attentif à ce que concoctait cet homme, tu aurais bien vite compris quâil se servait de toi. Mais ce qui est fait est fait, ne revenons pas là -dessus. As-tu autre chose à ajouter?
Clément se tut. Marcellin le conduisit dans une auberge où il avait retenu une chambre. Le lendemain, sur une barque en partance pour Montréal, ils voguaient ensemble vers le manoir Perré.
Chapitre 11
La vie au manoir
Le retour de Clément fut célébré par tous en grande pompe. Sa mère lâentoura de toute son affection; Augustine se surpassa pour lui cuire ses plats préférés; Jimmio lui fit fête en lâamenant à Verchères. Le fils prodigue passa près de deux années parmi les siens. Malgré les efforts de tous pour lui rendre la vie facile, il se montra maussade et constamment en rébellion contre tout ce que ses parents lui disaient. à peine deux jours après son retour, son père lui proposa:
â Tu tây connais en écriture. Sans doute seras-tu intéressé à mâaccompagner dans la tournée que jâentreprends dans Verchères.
â Quelle tournée et pourquoi?
â La mise à jour des contrats de concession.
â Je nây vois aucun intérêt.
â Je nâai pas été te chercher à Québec pour que tu viennes tâasseoir ici à ne rien faire.
â Jâai besoin de me reposer et de penser à mon avenir.
â Un homme digne de ce nom ne passe pas ses journées à ruminer ses malheurs.
Les arguments de son père ne vinrent pas à bout de son obstination. à tourner en rond dans le manoir, il avait lâair dâune âme en peine. Dès que sa mère tentait de lui parler, il passait la porte et allait errer du côté du fleuve. Câétait sans doute mieux ainsi, car il nâétait pas à prendre avec des pincettes. Sa sÅur Marie fit à son tour les frais de sa mauvaise humeur en osant lui dire:
â Pourquoi ne me seconderais-tu pas dans lâadministration de nos terres?
â Lâadministration de quinze vaches et vingt cochons!
â Allons! Ne fais pas ta tête de bouc!
â Et toi, te prends-tu pour une comtesse à la tête de ton petit manoir du bout du monde?
Radegonde intervint:
â Pourquoi
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