Le mouton noir
fourrures à son insu. Quâavez-vous à dire pour votre défense?
â Rien du tout, sauf que je nâai ni falsifié les registres ni acheté des fourrures.
â Comment expliquez-vous alors que nous retrouvons votre signature au bas de ce reçu?
â Quel reçu? Câest impossible, je nâai signé aucun reçu.
Le procureur lui tendit une feuille sur laquelle Clément reconnut en partie son écriture et sa signature: «Je certifie par la présente avoir reçu de messire Morin le nombre de trois cents peaux de castor gras et autant de castor sec. Signé Clément Perré.»
Clément devint cramoisi de rage.
â Câest un piège, monsieur le procureur. Avant de partir pour Montréal, le marchand René Bréard, qui se dit mon associé depuis un an et qui ne mâa pas encore versé un sou des deniers gagnés par nous depuis ce temps, mâa demandé de préparer des reçus et de les signer afin dâendosser les achats quâil devait faire à Montréal. Il mâa dit: âJâai besoin de ta signature démontrant que tu es dâaccord avec les démarches et les achats que je ferai.â Si vous lisez bien ces reçus, vous constaterez que le début est de mon écriture et que le reste y a été ajouté. Il est évident quâil sâest servi dâun de ces papiers pour mâincriminer et faire passer sur mon dos lâachat de ces fourrures de contrebande. Il avait préparé son coup depuis longtemps, voulant mâen rendre responsable au cas où quelque chose ne tournerait pas bien.
â Jeune homme, jâai du mal à croire que vous disiez la vérité. Jâexaminerai de près vos registres et les reçus, puis jâaviserai.
Le lendemain, Clément était condamné à mille livres dâamende pour achat illégal de fourrures et falsification de livres de comptes. Il ne pouvait sâexpliquer comment le procureur ne sâétait pas rendu compte de la supercherie de Bréard. Lâexamen des reçus démontrait de toute évidence quâils avaient été trafiqués. Relâché, le marchand monta sur le vaisseau en partance pour la France. Incapable de défrayer le coût de lâamende, Clément fut condamné à rester emprisonné. Dès quâil le put, il sâadressa au procureur en ces termes:
â Comment voulez-vous que je rembourse mille livres si je reste en prison sans pouvoir travailler?
â Vous nâaviez quâà ne pas frauder.
â Vous savez parfaitement bien que je ne suis pas coupable!
â Cette chanson-là , je la connais. Tous les condamnés lâentonnent dès quâils sont en prison.
â Est-ce que je passerai ma vie derrière les barreaux?
â à moins que vous nâayez quelquâun qui se porte garant de vous et qui paye cette somme.
â Pensez-vous que tout le monde possède mille livres prêtes à être mises à la disposition de la justice? Libérez-moi et je travaillerai à rembourser cette somme. Cette cause a été mal jugée. Le coupable se sauve présentement en France.
Le procureur se fâcha:
â Ne répétez jamais ce que vous venez de dire parce que je saurai bien vous le faire regretter par une peine encore plus sévère.
Cette discussion ne lâavait avancé à rien. Clément ne voyait personne apte à défrayer le coût de son amende. Il était pris au piège et se promettait, si jamais il le croisait un jour, de régler son compte à Bréard, de même quâà celui de ce juge de malheur assez idiot pour ne pas tenir compte de sa version des faits.
«à moinsâ¦Â», se dit-il.
Il nâosait pas croire quâun juge puisse sâêtre laissé acheter par un marchand.
Chapitre 10
Le retour au bercail
Clément, coincé, dut se résigner à vivre en prison, y disposant de tout le temps nécessaire pour réfléchir à sa mésaventure. Il sâétait fait avoir comme un novice par ce marchand retors. Au bout de deux mois, sâapercevant quâil passerait le reste de sa vie en prison sâil ne tentait pas quelque chose, il décida, après mûres réflexions, de mettre de côté son orgueil et dâécrire à son père.
Québec, 22 octobre
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