Le mouton noir
te montres-tu si méchant envers ta sÅur?
â Mérite-t-elle seulement des compliments?
â Elle nâattend de ta part ni compliment ni flatterie. Tout ce quâelle désire, câest te rendre service.
â Je peux bien me passer de ses attentions.
Radegonde, qui ne haussait jamais le ton, fit pourtant une entorse à la règle:
â Peut-être! Mais fais-le au moins de façon respectueuse. Elle nâa pas à être insultée par qui que ce soit, et encore moins par son jeune frère.
Voyant quâil nâaurait pas le dernier mot, Clément passa la porte. à Marie qui pleurait, Radegonde dit:
â Il faut lui pardonner, il est profondément malheureux.
Mis au fait de ce qui sâétait passé, Marcellin choisit de laisser un certain temps son cadet en paix, espérant le voir se retrouver et prendre goût à ce quâil faisait. Il ne désespérait pas de lâintéresser à quelque chose et tenta bientôt de lâamadouer en lâinvitant à faire le tour de ses propriétés.
â Tu as certainement remarqué quâici, depuis ton départ, beaucoup de choses ont changé. La laiterie, par exemple, et surtout le pavillon de chasse, devenu une seconde habitation.
â Câest là que jâirai habiter.
â Au pavillon? Tu nâes pas bien avec nous?
â Câest un peu ça, ouiâ¦
â Si tu penses que vivre là te permettra de te retrouver, je nây vois pas dâobjection, à la condition toutefois que tu viennes partager nos repas.
Clément se retira donc comme un ermite au pavillon de chasse et y passa les dix-huit mois suivants. Son père tenta de lâimpliquer dans la bonne marche du manoir et de ses dépendances. Clément daigna faire lâeffort dâévaluer les quantités de bois à abattre pour agrandir les terres cultivables. Au retour dâune de ses tournées, il oublia de fermer un enclos. Les vaches se dispersèrent dans les champs de blé, y faisant grand ravage. Son père osa lui en faire le reproche. Clément claqua la porte et ne remit pas les pieds au manoir pendant trois semaines; seule la faim finit par lây ramener.
Marcellin se fit conciliant:
â Accepterais-tu de me seconder un temps dans mon travail?
â Pour de lâécriture?
â Nâétait-ce pas ce que tu faisais chez lâintendant? Ne le ferais-tu pas pour ton père?
Il répondit du bout des lèvres:
â Je vais essayer. Mais sâil ne sâagit que de copies, je les ferai au pavillon.
â à ta guise! Si tu penses que la solitude est le meilleur remède à tes maux, je ne mây opposerai pas.
Il sâadonna à ces écritures pendant quelques mois, travaillant quand lâenvie lui en prenait, mais passant le plus clair de son temps à explorer les bois. Cette façon de vivre semblait lâapaiser, et le réconcilier avec lui-même et la vie. Radegonde et Marie auraient aimé le voir heureux, mais il nây avait pas moyen de lui arracher un sourire. Le voyant dans de meilleures dispositions, sa mère tenta de lâamadouer.
â Es-tu si malheureux avec nous que tu ne puisses plus te plaire au manoir?
â Oui, mère. Câest ainsi. Père veut me garder ici sous son autorité. Je me sens entre ces murs comme en prison, exactement comme le jour où je suis allé étudier à Québec, au Séminaire. Jâai besoin dâespace, de grand air.
â Ton père tâa accordé tout ça en te permettant de te retirer au pavillon. Tu devrais tâen montrer plus reconnaissant.
â Tout ce que je souhaite, câest pouvoir retourner à Québec.
Son souhait fut exaucé quand, quelques jours plus tard, arriva au manoir une lettre qui lui était adressée. Il la lut et, pour la première fois depuis son retour à Verchères, il parut se détendre.
â Lâintendant, dit-il, requiert de nouveau mes services!
â Quand? demanda Marcellin.
â Dès que possible.
â Parfait, alors! Dès demain, si tu le veux.
Chapitre 12
Lâheureuse rencontre
Après plus de dix-huit mois à se morfondre à Verchères, Clément était heureux de quitter ses parents pour regagner Québec. Le palais avait été rebâti et le
Weitere Kostenlose Bücher