Le mouton noir
à Bréard:
â Nos fourrures nâentrent-elles pas dans cette catégorie?
Bréard se moqua:
â Allons donc! Il nây a rien à craindre de la part de ceux qui, comme moi, connaissent tous les trucs pour faire passer des fourrures sous le nez des inspecteurs. Tu peux dormir sur tes deux oreilles.
Les paroles du marchand apaisèrent Clément. Jusque-là , tout ce que Bréard avait dit sâétait réalisé. Tout, dâailleurs, se déroula admirablement bien jusquâà quelques heures du départ. Ils étaient déjà à bord du navire qui sâapprêtait à mettre les voiles quand sây présenta le commissaire chargé de la traite des fourrures. Il avait eu vent que des fourrures qui ne portaient pas son sceau avaient été chargées sur ce navire. Il les fit saisir et retint le vaisseau à Québec tant que durerait lâenquête lui permettant de savoir à qui elles appartenaient. Il ne mit guère de temps à faire la lumière, et fit arrêter Bréard et Clément. Les deux associés ne croupirent pas longtemps en prison. Dès le lendemain, ils passèrent en jugement. Pendant ce temps, le navire sur lequel ils devaient traverser en France fut retenu à quai au cas où le capitaine ou dâautres membres de lâéquipage soient convaincus de complicité.
Au procès, Bréard joua la comédie.
â Où avez-vous obtenu ces fourrures?
â Je lâignore. Demandez-le à mon associé, câest lui qui a profité de mon absence de Québec pour en faire lâachat.
En entendant ce mensonge, Clément bondit. Il hurla:
â Il ment comme un charretier! Je nâai acheté aucune fourrure.
Un gendarme sâapprocha et le fit taire. Le juge intervint en disant:
â Vous parlerez quand on vous avisera de le faire.
Se tournant vers Bréard, il continua son interrogatoire.
â Vous vous êtes absenté de Québec combien de temps?
â Deux semaines!
â Pour aller où?
â à Montréal, acheter des marchandises que je dois livrer en Martinique.
â Quelquâun de Montréal peut-il certifier ces achats?
â Certainement! Le sieur Dupré.
â Nous le convoquerons.
â Le temps quâil arrive et le dernier vaisseau sera parti pour la France. Vous souhaitez ma ruine? Nâoubliez pas que je suis un honnête marchand. Si vous me faites manquer mon voyage en France dûment autorisé par le gouverneur, je vous poursuivrai pour la valeur de mes pertes. Quâavez-vous besoin dâinterroger le sieur Dupré, les factures quâil mâa fournies ne vous suffisent-elles pas?
Ces arguments semblèrent faire fléchir le procureur. Bréard en profita pour détourner lâattention de lâhomme de loi sur Clément.
â Monsieur le procureur, si vous voulez vous en prendre à quelquâun, intéressez-vous plutôt aux faits et gestes de mon associé. Il nây a quâune année que je travaille avec Clément Perré. On ne sait pas avec qui on sâassocie tant quâon nâa pas été quelque temps à lâÅuvre avec lui. Je le croyais honnête homme, puisque issu dâune famille qui nâa rien à se reprocher. Mais voilà que depuis peu, il mâétait permis de douter de lui. Il tenait au jour le jour nos livres de comptes. Dernièrement, en les vérifiant, jây ai trouvé des irrégularités.
â Par exemple?
â En Martinique, nous avions acheté deux barriques de guildive, il nâen a inscrit quâune seule. Jâai aussi relevé des chiffres inexacts concernant certaines marchandises rapportées de France. Ainsi, il nâa mentionné que trois marmites de fer alors que nous en avions trente, deux fusils quand nous en possédions vingt, et ainsi de suite.
En entendant le marchand déblatérer de la sorte, Clément rageait. Il nâavait pas les registres sous les yeux, mais il était certain que Bréard les avait falsifiés en faisant disparaître ou apparaître des zéros aux bons endroits. Prêtant foi aux paroles de Bréard, le procureur interrogea Clément:
â Votre associé ici présent affirme que vous avez faussé certains chiffres de vos registres et que vous avez même trafiqué des
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