Le mouton noir
grandi. Pendant quâAlexandre terminait à Québec des études de chirurgien-barbier, ses sÅurs devenaient des demoiselles pleines de charmes qui commençaient déjà à attirer lâattention des jeunes mâles de Verchères. Leur préceptrice se faisait vieille, mais elle nâavait pas manqué, comme elle lâavait fait pour leur père, de leur enseigner avec application ses connaissances.
Considérée comme une des familles importantes de Verchères, les Perré recevaient constamment des invitations à des bals, tant chez les Jarret que chez les Gaultier, les Pécaudy et même les Hertel. Si Marie nâavait jamais trouvé intérêt à participer à ce genre de soirée, Justine résolut dây amener ses filles afin quâelles puissent faire connaissance avec les jeunes hommes des familles les plus en vue. Au retour dâun de ces bals, Isabelle, alors âgée de quatorze ans, insista pour suivre des cours de danse. Son grand-père engagea un maître de danse qui vint enseigner aux trois demoiselles les rudiments de cet art. Cet homme se faisait accompagner par un claveciniste qui faisait résonner les murs du manoir dâairs de menuets et de gavottes.
Voyant que ses filles allaient de plus en plus être appelées à participer à ce genre de soirées, Justine se mit en frais de leur confectionner des robes qui firent sensation et lui apportèrent une longue liste de commandes et du travail pour les mois à venir.
Isabelle, Françoise et Marie-Louise affichaient des caractères fort différents. Impulsive et vive, Isabelle nâacceptait pas facilement les reproches et, comme son père, elle était portée à se lancer dans des projets bien téméraires. Nâavait-elle pas décidé dâélever des oies dont elle sâoccupait avec diligence du matin au soir? Cependant, quand il était question dâen sacrifier une pour la rôtir, elle sâopposait vivement à sa mise à mort, si bien que son grand-père devait chaque fois intervenir pour lui faire comprendre que les oies ne sont pas des oiseaux de compagnie et, en conséquence, quâelles doivent finir par être sacrifiées afin de se retrouver sur la table.
Dâun tout autre tempérament, Françoise sâintéressait à tout ce qui concernait les arts. Elle sâadonnait avec succès au dessin et à la peinture. Les murs du manoir étaient ornés de croquis de fleurs et dâoiseaux que son talent exceptionnel rendait fort bien. Câétait une jeune femme douce et sensible qui se plaisait en compagnie de sa mère et qui sâefforçait sans cesse de rendre service.
Marie-Louise, la plus jeune, montrait déjà des signes imminents de ce quâelle deviendrait plus tard. Fort bonne cavalière, montant en amazone, elle parcourait tous les jours les terres du manoir comme si elle en était la propriétaire, saluant au passage le fermier et les serviteurs qui ne manquaient pas de lui rendre la politesse, en multipliant les sourires et les courbettes. Déjà , Marie disait à Justine:
â Je nâaurai guère de peine à trouver une remplaçante pour gérer le domaine.
â Qui sait? La petite ne manque pas de mâimpressionner. Puisse-t-elle continuer dans cette voie! De voir ainsi mes filles grandir me rappelle que les années passent et que déjà , je suis rendue au mitan de ma vie.
â Nâavons-nous pas presque le même âge? à nous deux, à bien y penser, nous avons lâexpérience dâune aïeule.
En parlant de la sorte, les deux femmes ne se doutaient pas quâallait retomber sur leurs épaules lâavenir du manoir et de ses terres plus tôt quâelles ne le souhaitaient. Quelques mois plus tard, sans quâil ait donné de signes précurseurs, Marcellin rendait paisiblement lââme au cours de son sommeil.
Justine alla aussitôt au pavillon prévenir Clément, qui travaillait à la confection de ses chapeaux. Lâair était tellement empuanti quâelle nâosa pas entrer dans la boutique. Quand il vint répondre à ses coups répétés à la porte et quâelle lâavisa avec sa barbe longue et ses vêtements souillés, Justine eut un pas de recul.
â Est-ce bien, dit-elle, lâhomme que jâai
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