Le mouton noir
pièces.
Malgré tout, jâeus suffisamment dâargent pour acquérir le domaine de Verchères, y faire construire le manoir et mener une vie à la hauteur du rang que jâoccupais. Nous nâavons jamais été très riches. Il mâa fallu administrer nos biens avec une grande rigueur pour nous maintenir au niveau de vie qui fut le nôtre. Mon travail de notaire mâapportait tout juste lâargent nécessaire pour nous maintenir dans lâaisance. Voilà ce qui vous explique que nous ne pouvions nous permettre, comme dâautres, la vie de château. Certes, nous avons fait quelques réceptions, mais à un rythme bien moins soutenu que nos voisins des seigneuries de Verchères et de ContrecÅur, pour ne nommer que ceux-là .
Quand il fut question de vous envoyer compléter vos études à Québec, nous avons dû nous priver sur dâautres points. Voilà ce qui explique pourquoi votre mère, qui lâaurait tant mérité, portait rarement des robes neuves et ne possédait que quelques bijoux.
Maintenant que me voilà parti, câest sur les épaules de votre sÅur Marie que retombe la tâche de faire fructifier les terres du manoir de façon à ce quâelle puisse continuer à lâentretenir. Bien que votre épouse, par son travail de couturière, allégeait quelque peu mes obligations à son égard, je tenais à ce que vos enfants ne manquent jamais de rien et puissent jouir de la meilleure éducation possible. Voilà pourquoi jâai voulu garder chez nous votre préceptrice, qui accomplit auprès dâeux le même travail quâelle a réalisé auprès de vous.
Jâai bien pensé quâune fois le temps de lâhéritage venu, vous désireriez toucher la part qui vous est due. Câest pourquoi jâai cru bon de préciser mes volontés par un testament que jâai voulu le plus équitable possible. Sachant que vous nâauriez jamais lâintérêt et la patience voulus pour voir à lâentretien du manoir et au bon rendement des terres, Marie lâayant fait depuis le décès de votre mère, jâai jugé bon de lui confier cette tâche tout en lui permettant de la sorte de demeurer au manoir quâelle nâa pas quitté depuis sa naissance. Vous sachant bien au pavillon de chasse, jâai décidé de vous le donner en héritage, ainsi que ma barque, mon coffre et les vêtements que vous y trouverez, de même que lâarmoire à laquelle je tenais beaucoup, car, avec le coffre, ce sont les seuls objets dont jâai hérité de mon père, lequel les avait fabriqués de ses mains.
Enfin, pour assurer lâavenir de vos enfants, jâai pensé, avec lâaccord de Marie, leur léguer le manoir Perré après le décès de leur tante. Jâai cru bon, de plus, de vous léguer la moitié du revenu des terres du manoir en me disant que vous feriez tout en votre pouvoir pour seconder votre sÅur afin dâen garder la valeur pour vos enfants. Jâai pensé que de la sorte, pour leur bien, vous accepteriez que la vie du manoir ne soit pas perturbée et que vous choisiriez de gagner votre vie de telle sorte que vos ambitions ne nuisent pas à celles de vos enfants.
Ai-je bien agi? Je le crois. Est-ce que mes explications sauront vous satisfaire? à vous dâen décider! Pour ma part, je meurs lââme en paix avec la satisfaction du devoir accompli. Puissiez-vous découvrir la voie qui vous permettra dâêtre heureux. Câest le souhait que vous formule votre vieux père en quittant ce monde. Sachez bien que, malgré tout ce qui nous a éloignés, je nâai jamais cessé de vous aimer au même titre que mes autres enfants.
Votre père, Marcellin Perré
Au terme de sa lecture, Clément laissa tomber la lettre à ses pieds. Il resta sur place un bon moment, perdu dans ses pensées. Puis, se penchant, il remit la lettre sur la table et en parcourut de nouveau quelques passages. Enfin, résolument, il se leva et se dirigea vers son atelier où il se mit à travailler avec ardeur.
Chapitre 30
Le travail de chapelier
Clément se louait dâavoir engagé le chapelier Paul Lachapelle. Le vieillard se savait proche de sa fin et il ne demandait pas mieux que de transmettre ses connaissances. Il avait en
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