Le mouton noir
celle du soir lâa été, ils se seront attardés.
â Tu as sans doute raison, lui dit Marie, mais par précaution envoyons Abel au-devant dâeux.
Parti alors que le soir tombait, le serviteur revint seul deux heures plus tard. Il avait suivi la berge en appelant les enfants de toute la force de ses poumons et nâavait obtenu aucune réponse. Marcellin, tout juste revenu de Verchères, fut immédiatement mis au courant.
â Rien ne sert de battre la forêt en pleine nuit. Il faudra nous résoudre à les chercher dès lâaube.
Il alla prévenir au fort. Son fermier, qui jusque-là ne sâétait pas formalisé de la disparition de son fils, promit dâêtre là aux premières lueurs du jour avec ses deux aînés. La préceptrice se chargerait de la garde des petits pendant que Justine et Marie se joindraient à eux pour une battue en règle. Au matin, alors que tout ce monde sâapprêtait à se mettre en route, le chien du fermier aboya et voilà quâapparurent sur la route nos deux lascars, crottés comme des porcs. à Marcellin qui leur demandait dâoù ils sortaient, ils eurent cette réponse pour le moins étonnante:
â De la mare du diable.
â Dâoù?
â De la mare du diable.
â Où se trouve cette mare?
â Là où le soir, la route sâenflamme au soleil comme lâenfer.
â Que faisiez-vous là ?
â Nous chassions les grenouilles.
â Je suis tombé à lâeau, dit Alexandre, dans des sables mouvants. Jeancien mâa sauvé la vie en me tendant une branche qui mâa empêché de mâenfoncer.
Justine intervint:
â Pourquoi nâêtes-vous pas revenus tout de suite?
â Il faisait trop nuit.
â Pourquoi vous étiez-vous éloignés du fleuve?
â Ãa ne mordait pas. Nous avions faim et nous voulions manger des cuisses de grenouille.
â Je sais les faire cuire, dit Jeancien.
Son père sâapprocha et, lâattrapant par le chignon du cou, lui donna une gifle bien sentie.
â Recommence ça, lui dit-il, et tu verras ce quâil va tâen cuire!
Il le ramena sans ménagement chez lui, pendant quâun Alexandre tout piteux rentrait au manoir. Il nây eut ni cris ni reproches; seulement cette réflexion de Justine:
â Je crois quâil est grand temps que cet enfant apprenne que la vie nâest pas quâun jeu.
â Lâété se termine, dit Marcellin. Je vais voir où nous lâenverrons parfaire ses études.
â Québec, il me semble, serait lâendroit tout indiqué.
â Sâil en est ainsi, ma bru, il ira au Séminaire dès cette année.
Chapitre 26
Chapelier
Malgré son échec avec le ginseng, Clément ne perdait pas son idée fixe de devenir fort riche. Il lui restait à trouver la manière. Après avoir erré çà et là comme une âme en peine, il se remémora le temps où il avait bourlingué en compagnie du marchand Bréard. Lui remonta à la mémoire le souvenir de la fabrique de chapeaux de castor du sieur Dumouchel, à Paris. «Et si, se dit-il, jâouvrais ici une fabrique de chapeaux?»
Lâidée lui avait à peine effleuré lâesprit quâil se mit en frais de voir comment il pourrait la réaliser. Usant du pavillon de chasse comme de sa propriété, il décida, sans en parler à son père, dây faire ajouter une aile où il établirait son atelier de fabrication.
Quand Marcellin sâaperçut des travaux que Clément faisait exécuter autour du pavillon, il sây rendit pour en toucher un mot à son fils.
â Quâentreprends-tu de la sorte?
â Un atelier.
â Qui servira à â¦?
â à de la chapellerie.
â Tu veux maintenant te lancer dans la fabrication de chapeaux et, sans mon autorisation, tu entreprends de construire ta fabrique à même le pavillon?
â Quel mal y a-t-il à ça?
â As-tu seulement pensé aux odeurs que dégagent les peaux de castor et les substances utilisées pour les tanner? Tout le pavillon va en être infesté. Il nây aura plus moyen dây vivre.
â Câest moi qui lâhabite.
â Pour le momentâ¦
â Si
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