Le mouton noir
je comprends bien, père, vous aimeriez me voir déguerpir dâici?
â Ce nâest point ce que jâai dit. Dâautres lâhabiteront sans doute après toi, sâil est toujours manable. Jâaurais aimé que tu me parles de ton projet. Nous aurions pu en débattre et choisir un endroit plus approprié pour un tel atelier.
â Jâaurai beau me morfondre à faire vivre ma famille, je sais que vous serez toujours opposé au moindre de mes projets.
â Je nâai rien contre tes entreprises si elles sont menées de façon à ne nuire à personne. Je veux simplement te rappeler, Clément, que le pavillon, tout comme le manoir et les terres qui lâentourent, sont encore ma propriété. Certes, tu hériteras de ta part un jour. Je me fais vieux. Tu nâauras sans doute pas à attendre encore trop longtemps ton héritage, voilà pourquoi jâaurais aimé que tu me préviennes avant de te lancer dans ces travaux. Tâes-tu seulement regardé? Tu as lâair dâun souillon. Je nâose même pas entrer au pavillon tant jâappréhende le désordre que jây trouverai. Ce nâest pourtant pas de cette façon que ta mère et moi tâavons élevé!
Clément, qui écoutait calmement jusque-là , intervint brusquement:
â Les sermons du curé me suffisent, je nâai pas besoin des vôtres! Sans doute me les faites-vous parce quâautrefois vous mâavez tiré de prison et que je ne vous ai pas encore remboursé. Je le ferai, dès que la malchance me lâchera.
â Pauvre enfant! dit Marcellin. Il y a dans la vie autre chose que lâargent. Puisses-tu le comprendre un jour!
Puis, voyant quâil perdait son temps, de son pas lent de vieillard, il regagna tranquillement le manoir, pendant que par défi, son fils cognait du marteau et sâaffairait à poursuivre ses travaux.
Quand il en eut terminé avec cet atelier, Clément se rendit à Montréal. Il y toucha quelques centaines de livres pour sa production de ginseng de lâannée précédente. Il se servit de cet argent pour réaliser lâachat de ses premières fourrures de castor. Pour les payer le moins cher possible, il fit le tour des coureurs des bois revenus de Détroit et des environs.
â Vous avez bien, leur dit-il, parmi les peaux que vous rapportez, certaines qui montrent des imperfections telles quâelles ne seront pas expédiées en France?
â Les rejetées?
â Exactement. Je suis preneur.
Ce fut ainsi quâil mit la main, pour quelques livres chacune, sur une vingtaine de peaux de castor aptes à la confection de chapeaux. Il ne lui restait plus quâà dénicher un chapelier qui accepterait de travailler avec lui, tâche qui lui prit plusieurs jours. Il finit par se laisser dire que du côté de la Pointe-aux-Trembles, un certain Paul Lachapelle, qui nâétait pas tout jeune, accepterait peut-être son offre.
Quand il se présenta chez ce chapelier, logé dans une misérable cabane, il le trouva au lit. Lâhomme nâavait visiblement plus de travail, mais il possédait tout lâéquipement nécessaire à la confection de chapeaux. Clément lui expliqua ce quâil attendait de lui.
â Vous me montrerez votre métier, en retour de quoi je vous logerai, je vous soignerai, je vous nourrirai et vous nâaurez plus de souci.
Le vieil homme le regarda comme sâil était son sauveur.
â Jâirai, dit-il.
â Dans deux jours, promit Clément, je reviens avec ma barque. On y déménage tous vos effets et nous filons à Verchères.
Ce fut ainsi que, petit à petit, lâatelier de chapellerie de Verchères commença à vivre. Pour une fois, Clément semblait avoir misé juste. Il apprenait son nouveau métier tout en confectionnant ses premiers chapeaux, lesquels lui rapporteraient suffisamment pour lui permettre dâacheter de nouvelles fourrures, grossir son entreprise et en faire un commerce fort rentable. Il se donnait quelques années pour devenir un des gros bourgeois de la colonie. Mais il lui fallait dans lâimmédiat sâoccuper dâassurer sa fortuneâ¦
Chapitre 27
Les enfants de Clément et Justine
Au manoir, la vie sâécoulait paisiblement. Les enfants avaient
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